Le 5 juin dernier avait lieu l’édition 2017 de la Conférence Katia-Boustany. Cette conférence est organisée annuellement par la SQDI en hommage à la professeure Boustany, qui portait un intérêt particulier aux enjeux de droit international humanitaire et de droit pénal international. Cette année, l’activité était organisée dans le cadre de l’École d’été en droit international appliqué à l’Université de Sherbrooke. M. Gilbert Guillaume, ancien président et juge de la Cour internationale de Justice, a été invité à discuter de terrorisme et droit international devant plusieurs étudiants et membres de la SQDI. Voici un court résumé de la conférence présentée à cette occasion.
D’emblée, le juge Guillaume a dressé un portrait de l’évolution juridique relative à la notion de terrorisme. Par un bref rappel historique, il a exploré les origines du mot « terrorisme », lié à un régime de terreur de l’État. Il a souligné que, dorénavant, le terme « terrorisme » en lui seul ne réfère plus au terrorisme d’État. Pour des raisons historiques, le terme a changé de sens. Cette exploration du contexte a permis au juge Guillaume de démontrer pourquoi il est difficile pour les États de s’accorder sur une définition du terrorisme. D’une part, les États n’étaient pas prêts à accepter une définition qui pouvait s’appliquer à leurs propres forces armées. D’autre part, une définition du terrorisme pouvait rapidement entrer en contradiction avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes puisqu’il était parfois associé à des moyens d’action pris par certains groupes. Les définitions de terrorisme qui sont parvenues à apparaître dans les instruments juridiques internationaux n’ont pu exprimer clairement et généralement l’acte. En effet, on s’est surtout limité à définir des infractions pénales qualifiables de terrorisme. On a aussi vu apparaître des approches sectorielles, la plupart indiquant ce qui était prohibé comme acte, sans toutefois référer explicitement au mot terrorisme.
Le juge Guillaume a notamment souligné l’intérêt susciter par l’obligation de coopérer, d’extrader ou de juger. Lors de l’élaboration de la Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, la portée de cette obligation d’extrader ou de poursuivre était un enjeu important. Finalement, le texte discuté créait l’obligation de soumettre l’acte à l’autorité compétente, qui ferait le choix ensuite de poursuivre ou non. L’obligation n’incluait donc pas le fait de punir l’auteur de l’infraction. Ces travaux ont d’ailleurs été étudiés dans un texte antérieurement publié par M. Guillaume. D’autres instruments ont ainsi repris des obligations similaires de poursuivre et d’extradant, en plus d’encourager généralement les États à prendre des mesures de prévention et de vigilance ainsi que l’adoption de lois créant des infractions pénales.
Le juge Guillaume s’est ensuite tourné vers les développements relatifs au terrorisme à l’ONU. Dès les années 70, l’Assemblée générale des Nations Unies a démontré sa préoccupation pour ces questions, invitant les États à s’abstenir d’aider et de fomenter de tels actes visant un autre État. L’Assemblée générale s’est surtout concentré sur deux aspects : les causes, de façon à éradiquer leur source, d’une part, et la légitimité des mouvements de libération nationale, d’autre part. Les événements du 11 septembre 2001 ont certainement marqué un déplacement, notamment avec une condamnation de principe net du terrorisme par la Stratégie antiterroriste mondiale. Du côté du Conseil de sécurité, certaines circonstances de menace à la paix et à la sécurité internationale ont été qualifiées de terrorisme. M. Guillaume a souligné à cet égard l’Affaire de l’incident aérien de Lockerbie comme point de départ de l’évolution en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. La série de résolution sur les talibans a aussi marqué un point important. Le Conseil de sécurité a exigé des talibans de cesser d’offrir un refuge aux terroristes internationaux, s’adressant ainsi à une faction armée non reconnue et non à un État.
Selon le juge Guillaume, ces enjeux relatifs à la définition sont importants puisqu’elles soulèvent notamment des questions d’applicabilité du droit à la légitime défense. La jurisprudence a maintenu le fait que la légitime défense était limitée aux cas d’agression armée d’un État à l’encontre d’un autre État. Si les actes des groupes privés étaient qualifiables d’agressions, l’intervention d’un État contre un autre serait alors autorisée afin de lutter contre ces groupes. Le risque d’action armée au nom du droit à la légitime défense envers un État qui ne pourrait invoquer l’ingérence sur son territoire et être considéré comme étant le sujet d’une agression doit être pris en considération. Dans le cas de Daech, le problème est encore plus complexe dans la mesure où le groupe a un contrôle sur un certain territoire et se réclame d’être un État. Le 20 novembre 2015, le Conseil de sécurité a invité les États à prendre les mesures nécessaires pour combattre Daech, autorisant ainsi une action de la part des États. Le juge Guillaume a rappelé que les nouvelles formes d’organisation du terrorisme exigent de réfléchir à ces enjeux dans toute leur complexité, notamment en tenant compte du statut juridique des intervenants au regard du droit international humanitaire et de la qualification des actes posés.
Le juge Guillaume considère qu’il existe trois limites principales du droit international public aux actions que les États peuvent engager à l’égard des personnes soupçonnées de terrorisme. Premièrement, au regard du droit fondamental à la vie auquel il ne peut être dérogé, l’élimination ciblée des personnes est prohibée. Deuxièmement, l’interdiction de torture et le respect du droit à l’intégrité physique ont été invoqués à plusieurs reprises dans la lutte contre le terrorisme. Troisièmement, la surveillance clandestine, c’est-à-dire la recherche d’information non publique à l’insu des personnes concernées, est une préoccupation essentielle des États. Cette surveillance, qui porte atteinte à la vie privée et autres droits et libertés, doit être limitée aux strictes nécessités de la sécurité nationale et prévoir des mécanismes de contrôle interne et judiciaire.
Le juge Guillaume a conclu son allocation en affirmant que le droit international est un outil important dans la lutte contre le terrorisme, mais en précisant que cette lutte mobilise avant tout les moyens nationaux (de police, de défense) au cœur de la sphère régalienne de l’État. Si la coopération internationale s’est imposée dans les conditions invoquées, elle existe aussi dans la collaboration bilatérale puisque les États ont un intérêt commun au partage et à la répression des infractions. Dans un contexte de terrorisme international, cette collaboration interétatique est essentielle, même si elle n’existe pas dans des formes juridiquement très structurées.
La présentation du juge Guillaume a certainement soulevé des pistes de réflexion intéressantes sur les rôles respectifs du Conseil de sécurité des Nations Unies et de la Cour internationale de Justice pour garantir l’objectif de maintien de la paix et de la sécurité internationale dans un contexte qui est de plus en plus complexe. Il a également identifié les enjeux relatifs à la qualification de certains actes de terrorisme et des réponses qui peuvent être mises en œuvre à leur encontre, notamment en ce qui concerne les approches régionales et/ou sectorielles.