Une avancée majeure en matière de judiciabilité des DESC : Le cas Lagos del Campo vs. Perú à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme

Le 13 novembre dernier, la Cour interaméricaine (ci-après « la Cour ») publia le cas Lagos del Campo vs. Perú (31 août 2017 – disponible en espagnol seulement en ce moment). Il s’agit de la première fois que la Cour reconnaît une violation de l’article 26 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (ci-après « la Convention »). Cet article, intitulé « Développement progressif », constitue le seul article du chapitre III de la Convention qui soit dédié aux droits économiques, sociaux et culturels (DESC).

Il est souvent affirmé que les DESC sont les « parents pauvres » du régime de protection des droits humains, au bénéfice des droits civils et politiques. Leur possibilité de justiciabilité est remise en doute, un élément de réalisation progressive leur étant fréquemment associé dans les instruments internationaux. Ainsi, l’article 26 de la Convention énonce que sa mise en œuvre s’accomplit « dans le cadre des ressources disponibles ». En opposition à ces critiques, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits civils politiques et des DESC sont proclamées. L’on retrace la formalisation de cette idée à la Déclaration de Vienne de 1993, dont l’article 5 affirme : « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. ». Dans ce contexte, le bureau de la Rapporteure spéciale sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme a qualifié la décision Lagos del Campo vs. Perú de « jalon historique ».

Le cas concerne Monsieur Alfredo Lagos del Campo, un électricien qui fut congédié le 26 août 1989 en raison de déclarations faites dans le cadre de sa fonction de président du Comité électoral de la communauté industrielle à l’encontre de l’entreprise pour laquelle il travaillait. Ces déclarations concernaient des actes allégués d’ingérence de la part de l’employeur dans les activités des organisations syndicales et dans les élections du Comité dirigé par Monsieur Lagos del Campo. Âgé de 50 ans à l’époque du congédiement, et alors père de 14 enfants, il se vit refuser l’octroi d’une pension de retraite, puisque cinq ans le séparaient de l’accès à celle-ci. Il ne pu trouver un emploi stable par la suite, en raison de son âge avancé, le menant vers des conditions de vie et de santé précaires.

La Cour reconnaitra l’État coupable de violations liées à la sécurité d’emploi de Monsieur Lagos del Campo par l’article 26 en relation avec les articles 1.1 (obligation de respecter les droits), 8 (garanties judiciaires), 13 (liberté de pensée et d’expression) et 16 (liberté d’association), à sa liberté d’expression par les articles 8 (garanties judiciaires) et 13 (liberté de pensée et d’expression) en relation avec l’article 1.1 (obligation de respecter les droits), à sa liberté d’association par l’article 16 (liberté d’association) et 26 en relation avec les articles 1.1 (obligation de respecter les droits), 8 (garanties judiciaires) et 13 (liberté de pensée et d’expression), ainsi qu’à son accès à la justice par les articles 8.1 (garanties judiciaires relatives à « un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi ») et 25.1 (protection judiciaire) en relation avec l’article 1.1 (obligation de respecter les droits).

La Cour se prononcera donc sur l’article 26 relativement à la sécurité d’emploi de Monsieur Lagos del Campo. Elle précise d’emblée que sa juridiction porte sur tous les articles et dispositions de la Convention. Elle affirme que les droits du travail protégés par la Convention sont dérivés des normes économiques, sociales et sur l’éducation, la science et la culture contenues dans la Charte de l’Organisation des États américains. Elle souligne notamment que l’article 34g) de cette Charte vise une rémunération équitable, des possibilités d’emplois, et des conditions de travail acceptables pour tous. Elle rappelle également son Avis consultatif numéro 10 (disponible en anglais et en espagnol seulement), dans lequel la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’Homme est confirmée comme l’instrument contenant les droits humains auxquels réfère la Charte constitutive de l’organisation régionale. De ce fait, elle note que l’article XIV de la Déclaration affirme : « Toute personne a droit au travail dans des conditions dignes et celui de suivre librement sa vocation ». Énumérant également les instruments régionaux et internationaux protégeant le droit au travail, la Cour met de l’avant l’interprétation de ce dernier par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans son Observation générale numéro 18 comme incluant le droit de ne pas être privé injustement de son emploi. La Cour reproche ainsi à l’État de ne pas avoir protégé le droit au travail de Monsieur Lagos del Campo dont la violation originale est attribuable à une tierce partie, considérant qu’il ne fut pas réembauché et qu’il ne reçu aucuns bénéfices ou compensation, perdant son accès à une pension de retraite. La Cour va donc déclarer reconnaître une condamnation spécifiquement liée à la violation de l’article 26 (« con esta Sentencia se desarrolla y concreta una condena específica por la violación del artículo 26 de la Convención Americana sobre Derechos Humanos, dispuesto en el Capítulo III, titulado Derechos Económicos, Sociales y Culturales de este tratado », au paragraphe 154).

Malgré cette avancée notable, il est important de noter que la justiciabilité accrue des DESC n’est qu’une corde à l’arc d’une meilleure protection de ces droits humains. Il va sans dire que les actions en amont, plutôt qu’en aval, sont à privilégier. Mais également, à l’instar du fait que traiter les symptômes plutôt que la cause d’une maladie ne constitue pas une approche optimale, un engagement envers une meilleure protection des DESC devrait inclure une réflexion quant aux façons dont leurs violations sont créées de façon systémique et ainsi prévoir des actions visant les sources du problème.

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