Le Brexit à l’épreuve du contentieux international de l’investissement

Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne est à l’origine de différents débats quant à ses modalités et ses conséquences.  Chose certaine toutefois, en l’absence d’un accord avec l’Union européenne, une refonte générale du cadre législatif en vigueur est attendue. Les nouvelles mesures qui seront adoptées affecteront négativement les entités commerciales basées au Royaume-Uni qui ne pourront plus compter sur la libre circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux qui a jusque-là facilité leurs échanges avec l’Europe. Cela suscite inévitablement des questionnements sur des recours possibles pour ces entités. Le droit international de l’investissement a traditionnellement limité l’espace réglementaire afin que celui-ci ne soit utilisé par un État que dans le respect des attentes de ses cocontractants. À cet égard, nous évaluons dans cet article si cette discipline érige des limites au droit du Royaume-Uni de procéder à un remaniement de son cadre législatif post-Brexit.

Au Royaume-Uni, le cadre juridique de l’investissement émane principalement de la centaine de traités bilatéraux d’investissement conclus avec une multitude de pays et qui ont permis à des milliers de filiales étrangères de conduire leurs affaires sur le territoire britannique. Le droit de l’investissement est fondé sur l’objectif de la stabilité et de la prévisibilité des relations contractuelles. Cet objectif est généralement consacré par la clause du «traitement juste et équitable» que nous retrouvons dans la majorité des traités. Elle exige que «les investissements effectués par des nationaux ou sociétés de l’une ou l’autre des Parties contractantes bénéficient en tout temps d’un traitement juste et équitable et d’une protection et d’une sécurité pleines et entières sur le territoire de l’autre Partie contractante (…)». Les tribunaux arbitraux ont interprété cette clause, et notamment l’objectif de «sécurité», comme générant des «attentes légitimes». Toutefois, ce sont bien les investisseurs établis dans un État hôte qui bénéficient de ces attentes et non les parties au contrat, à savoir les États ayant conclu le traité. Si, par son retrait de l’Union européenne, le Royaume-Uni porte atteinte aux attentes légitimes qu’il se doit de garantir aux investisseurs établis sur son territoire, ces derniers seront justifiés d’initier des recours contre lui. II importe donc de préciser en quoi consistent ces attentes afin d’évaluer la viabilité de tout recours éventuel.

Selon la jurisprudence arbitrale, la protection des attentes des investisseurs engendre plusieurs obligations pour l’État hôte. Plus spécifiquement, elle exige de sa part d’assurer la stabilité du cadre réglementaire général en vigueur au moment de l’investissement mais aussi de respecter toute représentation, formelle ou informelle, qu’il aurait formulée à l’égard d’un investisseur pour le pousser à investir ou à maintenir son investissement sur son territoire[i].

I-Obligation d’assurer la stabilité du cadre réglementaire

Le précédent de l’Argentine est démonstratif à cet égard. Une série de différends furent initiés contre ce pays en raison de mesures prises par le gouvernement argentin pour lutter contre la profonde crise économique et financière qui a secoué le pays en 2001.  L’Argentine a invoqué la situation d’urgence engendrée par la crise comme justifiant les mesures prises et a soutenu qu’on ne pouvait reconnaître à l’investisseur un droit absolu à la stabilité de l’environnement juridique et économique. Tout en acquiesçant à l’argument argentin, le tribunal arbitral a tout de même considéré que lorsque l’État met en œuvre son pouvoir normatif, il ne peut le faire au détriment des investisseurs. Plus spécifiquement, la ligne démarcative consiste à identifier si les changements en cause constituent des modifications radicales et déraisonnables «[that] can be considered as adopted outside the acceptable margin of change that must be taken into account by any investor and therefore be characterised as unfair and inequitable treatment». À cet égard, les tribunaux arbitraux ont à plusieurs reprises conclu que les modifications législatives entreprises par l’Argentine ont radicalement modifié l’environnement juridique des investissements considérant que «Argentina went too far by completely dismantling the very legal framework constructed to attract investors.» Ces modifications ont principalement touché son régime tarifaire qui avait attiré de nombreux investisseurs. Sur ce point, il fût décidé que «Argentina acted unfairly and inequitably when it prematurely abandoned (…) tariffs adjustments and essentially froze tariffs». Cela pourrait donc bien ressembler à la situation du Royaume-Uni en cas d’un «hard Brexit». Les conséquences qui en résulteront sur l’environnement juridique des investissements seraient si profondes qu’elles risqueraient de contrevenir aux attentes des investisseurs établis au Royaume-Uni. Force est en effet de constater que les traités bilatéraux d’investissement actuellement en vigueur ont été signés alors que le Royaume-Uni était Membre de l’Union européenne. Les nombreux avantages offerts par l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne ont certes fortement attiré les capitaux étrangers. Aujourd’hui cependant, les garanties du régime tarifaire qui a séduit tant d’investisseurs étrangers dans ce pays risquent d’être entièrement démantelées. Les constructeurs automobiles étrangers tels Nissan et Toyota ont investi au Royaume-Uni avec des attentes légitimes de pouvoir exporter leurs voitures vers l’Europe en franchise de droits. Après un hard Brexit, ils risquent d’être confrontés à un tarif de 10% sur chaque voiture exportée. Dans l’ensemble, de tels changements du cadre législatif pourraient être si graves et radicaux qu’ils constitueraient une violation de la norme du traitement juste et équitable en contrecarrant les attentes légitimes des investisseurs étrangers.

II-Obligation de respect des représentations

Par ailleurs, une violation des attentes légitimes pourrait également résulter de tout défaut par le Royaume-Uni de respecter des représentations ou assurances, formelles ou informelles, qu’il aurait formulées à l’égard d’un investisseur pour le pousser à investir ou à maintenir son investissement sur son territoire. Ce fût l’avis de Thomas Wälde dans son opinion individuelle jointe à la sentence Thunderbird dans laquelle il affirma que « a conduct, informal, oral or general assurances can give rise to or support the existence of a legitimate expectation ». Certaines entreprises telles Nissan et Toyota ont publiquement affirmé, suite à des rencontres avec la Première ministre britannique Theresa May, avoir obtenues des garanties à l’effet qu’un éventuel Brexit n’affectera pas leurs activités.  À défaut de parvenir à un accord assurant une libre circulation des biens et services entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, de telles garanties semblent difficilement réalisables et risquent en conséquence d’être à l’origine de poursuites intentées contre le gouvernement britannique. Nous ignorons pour le moment la nature de ces garanties mais il importe de mentionner que si celles-ci revêtent la forme de contribution financière visant à compenser les pertes engendrées par un éventuel changement du régime tarifaire, elles risquent de constituer des violations du droit de l’OMC en s’apparentant à des subventions qui seraient prohibées ou actionnables en vertu de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Elles pourraient en conséquence engendrer l’imposition de mesures compensatoires par l’Union européenne aux produits de ces entreprises entraînant de la sorte des pertes considérables pour eux et justifiant ainsi un recours contre le Royaume-Uni par ces investisseurs.

Les obligations qui pèsent sur les États hôtes afin de protéger les attentes légitimes qui naissent d’un traité bilatéral d’investissement semblent revêtir une portée bien plus large que celles qui naissent des engagements contractées dans le cadre de l’OMC. Si dans le contexte de l’OMC, elles se limitent à l’obligation de maintenir une législation qui ne porte pas atteinte au respect du rapport de concurrence entre produits, dans un contexte d’investissement elles génèrent l’obligation de maintenir une législation en accord avec ce qui était en vigueur au moment de l’investissement. En conséquence, si un hard Brexit s’apparente à une modification radicale du cadre législatif, les investisseurs établis au Royaume-Uni pourraient bien avoir un recours contre le gouvernement britannique post-Brexit. Certains États ont déjà laissé sous-entendre qu’ils évaluaient les options de leurs investisseurs à ce sujet. Le Ministre des affaires étrangères du Japon a, dans un communiqué datant de septembre 2016, exigé une série de demandes de la part du gouvernement britannique destinées à protéger les investisseurs japonais établis au Royaume-Uni, laissant sous-entendre, qu’à défaut d’une telle protection, des recours contre le Royaume-Uni pourraient être envisagés par ceux-ci.

 

[i] Chios Carmody, «Great Expectations: the Treatment of Expectations in WTO and International Investment Law», Law Publications 85 (2017), en ligne sur le site de l’Université du Western Ontario <http://ir.lib.uwo.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1085&context=lawpub> (Consutlé le 1er novembre 2017).

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