Le 16 mai 2017, l’Équateur est devenu le 5ième pays à mettre fin à l’ensemble de ses traités bilatéraux d’investissement après l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie. Des jugements condamnant ces pays à octroyer à des investisseurs étrangers établis sur leurs territoires de larges sommes en raison de différentes violations commises, ont été à l’origine de cette décision drastique. Ainsi, dans le cas de l’Équateur, il suffit de penser à la décision d’un tribunal arbitral de 2012 qui a condamné l’Équateur à payer la somme de 2.3 Milliards $ à la compagnie pétrolière américaine Occidental. Cette décision a été un facteur décisif dans le choix de l’Équateur de mettre fin à son traité bilatéral d’investissement avec les États-Unis d’abord puis avec l’ensemble de ses partenaires commerciaux. Certains observateurs parlent alors de «crise de légitimité» à laquelle fait face le droit de l’investissement. Qu’est ce qui serait à l’origine de cette crise de légitimité? Nous soutenons qu’elle est due à la nature de ces traités et à l’interprétation jurisprudentielle qu’ils ont reçue. Celles-ci n’ont pas permis de forger un équilibre entre obligations juridiques des États hôtes et flexibilité politique nécessaire. Ainsi, contrairement, par exemple, au droit de l’OMC qui se caractérise par de nombreuses exceptions qui permettent de conserver un espace réglementaire étatique, nous constatons qu’un tel langage de balance et d’exception est absent du droit de l’investissement. Tel que le souligne Markus Wagner, «while WTO law has positively codified justifications for governments wishing to protect interests that are not fundamentally economic, investment treaties have historically not included similar provisions». Il s’avère que les traités bilatéraux d’investissement n’ont pas été conçus dans une optique de balance entre objectif de promotion de l’investissement étranger et respect de l’espace réglementaire étatique. Plutôt ceux-ci ont été conçus dans le but principal de protéger un investisseur contre un État hôte plus puissant. Un tribunal arbitral a reconnu cet objectif dans le passage suivant : «At [the heart of international investment law] lies the right of a private actor to engage in an arbitral litigation against a (foreign) government over governmental conduct affecting the investor». C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la carence traditionnelle d’exceptions dans le cadre des traités d’investissement.
La logique de réciprocité qui caractérise le droit de l’OMC est absente d’un régime tel celui du droit de l’investissement car, malgré que les traités d’investissement soient négociés et ratifiés dans un contexte interétatique, leur mise en œuvre présuppose une relation État-investisseur. La relation entre État hôte et investisseur par définition n’est pas équilibrée et ne peut être conçue dans une optique réciproque. La mise en œuvre du droit de l’investissement est pensée de façon à contribuer à l’atteinte de l’objectif de ce droit, soit celui d’assurer la protection des investisseurs. Ainsi, seuls les investisseurs étrangers ont un recours juridique direct contre les gouvernements hôtes qui agissent à l’encontre des attentes légitimes des investisseurs et en violation des normes établies par les traités d’investissement. Par ailleurs, le droit de l’investissement se caractérise, contrairement au droit de l’OMC, par des remèdes rétroactives qui sont conçues dans une optique punitive, à savoir «to monetarily reprimand a state for the wrongs it has inflicted upon an investor». Lorsqu’un tribunal arbitral constate que l’État a violé les attentes légitimes d’un investisseur, des dommages-intérêts compensatoires sont accordés à l’investisseur. Comme le souligne Susan Franck, une réclamation typique pourrait impliquer un investisseur exigeant plus de 300 millions de dollars américains d’un État hôte. Bien que les réclamations ne soient pas toujours couronnées de succès, «the potential financial consequences are enough to leave states feeling apprehensive about their regulatory actions». Ces appréhensions sont d’autant plus justifiées par les recours limités dont disposent les États face à de telles condamnations qui sont souvent finales et sans appel. Par conséquent, les restrictions imposées par le droit de l’investissement à l’espace réglementaire étatique peuvent avoir des répercussions particulièrement importantes.
Cela étant dit, force est de constater que le régime des investissements, secoué par la crise de légitimité à laquelle il fait face depuis quelques années, semble de plus en plus à la recherche d’une balance entre promotion de l’investissement étranger d’une part et protection de l’espace réglementaire étatique de l’autre. Nous assistons dernièrement à un «recalibrage» accru d’un nombre croissant de traités d’investissement. Des exemples de ce «recalibrage» se manifestent par l’inclusion de clauses générales d’exception s’inspirant de l’article XX du GATT et de l’article XIV de l’AGCS[i], par l’inscription de la promotion des investissements dans un ensemble plus large d’objectifs politiques ultimes tel le développement durable[ii] et par la formulation plus étroite des dispositions en matière de protection des investissements, y compris des clauses limitant le traitement juste et équitable à la norme minimale de traitement en droit international coutumier[iii]. Certains auteurs constatent à cet égard un phénomène de «convergence» entre le droit de l’OMC et le droit de l’investissement. Cette théorie sera confirmée, ou non, par l’interprétation jurisprudentielle de cette nouvelle génération de traités d’investissement. Une chose est sûre toutefois, «these new treaties may go a long way towards saving the international investment law from the legitimacy crisis it is currently experiencing».
[i] Voir l’article 18 de l’Accord conclu entre le Canada et le Burkina Faso pour la promotion et la protection de l’investissement, 2015, en ligne < http://investmentpolicyhub.unctad.org/Download/TreatyFile/5589> (Consulté le 1er novembre 2017).
[ii] Id., voir le préambule de l’Accord: « COMPRENANT que l’investissement constitue une forme de développement durable qui répond aux nécessités du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins et qui est essentielle au développement futur des économies nationales et mondiale ainsi qu’à la poursuite des objectifs nationaux et mondiaux pour le développement durable;»
[iii] Id., Article 6:2 de l’Accord qui indique que «les concepts de «traitement juste et équitable» et de « protection et sécurité intégrales» visés au paragraphe 1 n’exigent pas un traitement supplémentaire ou supérieur à celui prescrit par la norme minimale de traitement des étrangers en droit international coutumier. »