En mars 2018, le président américain Donald Trump a confirmé son intention d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celles de l’aluminium. Certains de leurs partenaires commerciaux ont toutefois été exemptés de ces mesures. Il s’agit notamment du Canada, du Mexique et de l’Union européenne.
Sur quelles bases juridiques ces mesures ont-elles été adoptées?
Contrairement aux tarifs punitifs que les États-Unis imposent fréquemment à certaines marchandises spécifiques ayant fait l’objet d’un dumping ou ayant été injustement subventionnées, les mesures américaines relatives à l’acier et à l’aluminium ont une portée générale. Celles-ci peuvent s’appuyer sur deux fondements juridiques en vertu du droit de l’OMC: l’Accord sur les sauvegardes ou l’exception de sécurité de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ci-après le GATT).
En effet, l’article XIX du GATT et l’Accord de l’OMC sur les sauvegardes permettent à un pays importateur, dans ce cas les États-Unis, d’imposer des contingents ou des droits de douane supérieurs à ceux indiqués dans sa liste de concessions pour contenir une augmentation soudaine des importations qui menace de causer un dommage grave à une branche de production nationale. Ainsi, une augmentation des importations d’acier et d’aluminium justifierait la hausse des tarifs américains en tant que mesures de sauvegardes nécessaires pour protéger les industries nationales d’acier et d’aluminium. Le gouvernement américain a toutefois préféré s’écarter de cette voie en choisissant d’invoquer des raisons de sécurité nationale pour justifier les mesures imposées. Plus spécifiquement, les États-Unis se sont basés sur la section 232 du Trade Expansion Act de 1962 essentiellement équivalent à l’article XXI du GATT. Cet article permet aux pays membres de l’OMC de «prendre toutes mesures qu’[ils estimeront] nécessaires à la protection des intérêts essentiels de [leur] sécurité».
Différents motifs expliquent le choix des États-Unis de recourir à l’exception de sécurité nationale. Tout d’abord, il importe de savoir que l’imposition de mesures de sauvegarde exige l’octroi de compensation aux pays affectés par lesdites mesures. Une telle obligation de compensation n’est pas exigée dans le cadre des mesures prises en vertu de l’article XXI du GATT. Par ailleurs, l’imposition de mesures de sauvegarde est conditionnée à différentes exigences procédurales, notamment, la tenue d’une enquête qui démontre l’existence d’un lien de causalité entre l’accroissement des importations et un dommage grave subie par la branche de production nationale de produits similaires ou directement concurrents. À la suite d’une enquête concluante, les mesures de sauvegarde ne sont appliquées que pendant une période limitée de temps. Le rehaussement des tarifs douaniers dans le cadre de l’article XXI du GATT à l’opposé n’est pas soumis à de telles exigences procédurales. Ces mesures sont illimitées dans le temps. De plus, l’article XXI du GATT de 1947 donne une grande latitude aux pays membres pour décider des motifs et des modalités de son application. L’absence de balises juridiques claires en ce qui a trait à l’application de l’article XXI résulte de l’absence de précédents en cette matière. En effet, jusque-là, l’article a principalement été utilisé pour justifier des mesures générales d’embargo dans des contextes de conflits, notamment entre les États-Unis et le Guatemala. Les mesures de l’administration américaines sur l’acier et l’aluminium constituent une première dans l’histoire de l’OMC où l’article XXI est utilisé pour justifier le recours à une restriction des importations. C’est d’ailleurs l’absence de balises juridiques en ce qui a trait à cet article qui a permis aux États-Unis d’exempter certains de leurs partenaires commerciaux en fonction de critères vagues. Dans le cas du Canada et du Mexique, cette exemption est présentée comme un outil qui sera utilisé par l’administration américaine dans le cadre de la renégociation de l’ALENA. Quant à l’Union Européenne, celle-ci est octroyée également dans l’optique d’obtenir certaines concessions dans différents secteurs de la part de Bruxelles.
La communauté internationale a réagi à l’annonce du président Trump par une condamnation presque universelle de ces tarifs. Les pays non exemptés quant à eux se retrouvent en effet dans une situation difficile. Quels recours s’ouvrent désormais à eux?
Certains pays ont ouvertement rejeté la classification des tarifs par l’administration américaine en tant que mesures de «sécurité nationale» en indiquant qu’ils les considéreraient comme des mesures de sauvegarde régies par l’Accord sur les sauvegardes de l’OMC. L’intérêt d’une telle qualification réside dans l’obligation de compensation qui en découle pour le gouvernement américain. Si les mesures américaines sont effectivement considérées comme des mesures de sauvegarde, et à défaut d’entente sur les modalités de compensation, les pays affectés peuvent adopter des mesures de rétorsion équivalentes en vertu de l’article 8 de l’accord. Par exemple, ils peuvent majorer les droits de douane frappant des produits exportés par les États-Unis. L’imposition de contre-mesures dans ce cas ne nécessiterait pas de passer par le mécanisme de règlement des différends de l’OMC. Toutefois, ces contre-mesures sont susceptibles d’être contestées avec succès par les États–Unis sur la base juridique que les tarifs en question ne constituent pas des mesures de sauvegarde. En effet, si les États – Unis avaient imposé des mesures de sauvegarde, ils auraient dû agir en réaction à une hausse agressive des importations d’acier et d’aluminium. Aucune des exigences procédurales substantielles en ce qui a trait à l’imposition des mesures de sauvegarde n’a été respectée en l’espèce.
Dans cette situation, les pays affectés par la taxation d’acier et d’aluminium gagneraient à formellement contester la véracité des allégations américaines de sécurité nationale devant le mécanisme de règlement des différends de l’OMC. Il s’agit là d’une occasion pour le mécanisme de règlement des différends de définir des critères juridiques clairs quant à la nature des risques de sécurité nationale qui peuvent légitimement être contrecarrés en vertu de l’article XXI du GATT. A défaut d’une décision de l’Organe de règlement des différends sur la question, les mesures américaines ouvrent la porte à tous les pays membres de l’OMC d’ériger des barrières au commerce qu’ils considèrent «nécessaires» pour leur sécurité nationale, un résultat potentiellement désastreux pour le commerce mondial. Cela pourrait exacerber la crise de légitimité à laquelle fait face l’OMC depuis la stagnation des négociations de Doha. Plusieurs pays ont toutefois souligné que les mesures américaines étaient contraires aux règles de l’OMC, laissant sous-entendre que des recours contre les États-Unis pourraient être envisagés. Il s’agit là d’une occasion à ne pas manquer d’amener des clarifications tant attendues sur l’exception de sécurité et de poser de nouvelles règles essentielles pour la survie du système commercial multilatéral.