Le contexte des vagues massives de réfugiés par voie maritime soulève de nombreuses questions quant aux obligations internationales de chaque État. Le cas de l’Aquarius, un bateau de recherche et de sauvetage secourant les migrants et réfugiés en Méditerranée, permet de mettre en contexte cette problématique.
Ce navire, opéré par Médecin sans frontières et SOS Méditerranée, avait secouru plus de 600 personnes pendant la nuit du 9 et 10 juin 2018. Suite au manque de coopération de plusieurs pays, il avait été contraint de parcourir plus de 1500 km afin de reconduire les rescapés jusqu’à Valence, en Espagne, le 17 juin dernier. Le 10 août 2018, l’histoire se répète pour 141 naufragés retrouvés près des côtes de la Libye. Après cinq jours en mer, les rescapés se voient finalement autoriser le débarquement à Malte, avant d’être répartis dans cinq pays européens (le Luxembourg, la France, l’Allemagne, le Portugal et l’Espagne).
Ce ping-pong humain et la réticence des États à accepter les demandes d’asile est questionnable en droit. Le refus de prendre en charge ces individus semble constitutif d’une violation des obligations internationales. Le devoir de prêter assistance aux personnes en mer et de trouver un lieu sûr pour leur débarquement peut-il être imputable aux États selon le droit la mer? Cet article présente un bref survol de la possibilité pour le Tribunal international du droit de la mer (ci-après TIDM) de se saisir de ces questions.
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
Malte et l’Italie, deux États impliqués dans l’affaire de l’Aquarius, sont parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (ci-après Convention de Montego Bay), ce qui entraîne certaines obligations.
Au premier paragraphe de son article 98, la Convention de Montego Bay impose à tout capitaine de navire l’obligation de secours et sauvetage en mer. Plus précisément, cela entraine l’obligation de prêter assistance et de porter secours, le plus rapidement possible, à toute personne trouvée en péril en mer. Le terme « toute personne » réfère à tout individu peu importe son statut particulier, que ce soit migrant économique, migrant irrégulier, réfugié ou demandeur d’asile. Le terme « péril » réfère à la vie de ces personnes qui est mise en danger (voir Projet Gabčikovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), C.I.J. rec. 1997, §54). L’assistance et l’aide doivent ainsi être apportées à quiconque remplissant cette définition.
Au deuxième paragraphe de son article 98, la Convention de Montego Bay impose aux États côtiers de faciliter « la création et le fonctionnement d’un service permanent de recherche et de sauvetage ». Dans le cas de l’Aquarius, il était donc du devoir des États côtiers de fournir, de par leurs navires, une aide immédiate et de faciliter les opérations de secours une fois les naufragés dans leur zone de responsabilité. Une attente de cinq jours en mer avant d’obtenir l’autorisation de débarquement ne semble pas, de prime abord, remplir les critères de l’article 98.
D’autres conventions mettent également en lumière l’importance de cette région de recherche et l’obligation de porter secours. Par exemple, la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (ci-après SOLAS) établit des normes minimales assurant la sécurité en mer. La Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritime (ci-après SAR), quant à elle, prévoit une collaboration entre États en matière de sauvetage en mer et la coordination internationale de ces opérations.
Le respect des conventions internationales
Malte a argumenté par le passé que le fait de ne pas avoir accepté les amendements à la Convention SAR en 2004 dispensait l’État de l’obligation de trouver un lieu sûr en vertu de cette convention (voir article 3.1.9 de la Convention SAR).
Toutefois, même si les obligations de participer aux opérations de sauvetage et de trouver un lieu sûr ne sont pas spécifiquement prévues dans la Convention de Montego Bay, elles pourraient tout de même être invoquées par le biais de son article 2. Le troisième paragraphe de cet article oblige tout État à exercer sa souveraineté en respectant les autres règles du droit international dans sa mer territoriale. Cet article, combiné avec l’article 293, impose au TIDM l’application des dispositions de la Convention et les autres règles du droit international qui ne sont pas incompatibles avec elle. Le Tribunal serait ainsi compétent pour interpréter d’autres conventions internationales qui partagent les mêmes buts que son acte constitutif, malgré le fait que les États n’en soient pas signataires, afin d’appliquer la Convention de Montego Bay s’il était saisi par une partie (voir art. 288 de la Convention de Montego Bay).
Cette harmonisation du droit international avec le droit de la mer permettrait éventuellement de déposer une requête devant le TIDM pour des questions touchant au droit des réfugiés, et plus précisément pour l’omission de certains États de leur trouver un lieu sûr, ou pour leur manque de participation active aux opérations de sauvetage.
Le cas de l’Aquarius permet également de se questionner sur l’invocation du Pacte international des droits civils et politiques (ci-après PIDCP) et la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après Convention de 1951) devant le TIDM afin d’engager la responsabilité de Malte. Plus d’une centaine de personnes, dont de nombreux enfants, ont été contraints d’attendre la décision étatique pendant plusieurs jours, sans soins de santé et sans nourriture suffisante : ces mauvaises conditions pourraient être considérées comme une violation aux droits les plus fondamentaux de la personne.
Le TIDM a d’ailleurs déjà considéré la possibilité d’appliquer certains articles du PIDCP dans l’affaire Artic Sunrise lors de sa sentence rendue en 2015. Il était alors nécessaire d’établir un « lien entre les faits allégués et les dispositions de la Convention invoquées » (voir Navire « Louisa » (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Royaume d’Espagne), arrêt, TIDM rec. 2013, §99). Malgré la conclusion du Tribunal selon laquelle n’y avait aucun lien avec les dispositions de la Convention de Montego Bay invoquées dans cette affaire, la possibilité d’appliquer certains articles du PIDCP et de la Convention de 1951 reste plausible, plus particulièrement le droit à la vie, le droit de ne pas subir de traitements dégradants et le droit au non-refoulement (respectivement articles 6 et 7 du PIDCP et article 33 al. 1 de la Convention de 1951).
Conclusion
Avec les crises sociales et politiques et les changements climatiques, il est nécessaire de prévoir que les flux massifs de réfugiés ne cesseront d’augmenter. Déjà près de 1000 migrants sont décédés dans la méditerranée en 2018. Un État passif qui refuse d’aider doit être tenu responsable devant une instance internationale. Les opérations de sauvetage de l’Aquarius et l’inaction des États côtiers au cours de l’été 2018 nous poussent à trouver de nouvelles solutions juridiques permettant de résoudre ce problème urgent. Par ailleurs, le gouvernement de Gibraltar vient d’annoncer son désir de retirer son pavillon à l’Aquarius, invoquant « le manque de disponibilité des ports », ce qui l’empêcherait de continuer ses opérations de sauvetage en mer. La Convention de Montego Bay, par ses articles 2, 98 et 293, pourrait possiblement rendre imputables les États qui ne respectent pas leurs obligations internationales. Le manque de participation aux régions de recherche et de sauvetage, l’omission de prêter secours rapidement et l’exercice de la souveraineté de manière incompatible avec le droit international doit être sanctionné : par une utilisation plus large du TIDM, peut-être sera-t-il possible de préserver la dignité humaine.
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1 Organisation maritime internationale, « Principes relatifs aux procédures administratives pour le débarquement des personnes secourues en mer », 22 janvier 2009, http://www.imo.org/fr/OurWork/Facilitation/IllegalMigrants/Documents/194.pdf [en ligne].