Dans une perspective d’encadrer les conflits armés, le droit international humanitaire repose sur une interdiction des formes d’exaction, entre autres, le recours à la torture. Sa contribution rejoint un corpus de normes destinées principalement à défendre des droits humains, en y imposant un cadre juridique bien circonscrit. Ce principe devient, par conséquent, une norme impérative jus cogens,et impose aux États un respect intransigeant, même dans des circonstances dites exceptionnelles.
Néanmoins, malgré le caractère prohibitif de la torture, des violations sont toujours commises pour diverses raisons, tout particulièrement, pour des questions de sécurité nationale. Le respect de cette prohibition peut donc être entaché par des irrégularités, comme le recours aux restitutions extraordinaires.
Des instruments internationaux et régionaux confluent dans la même direction
Au niveau régional, le continent européen s’est démarqué particulièrement par l’adoption d’un outil contraignant, la Convention européenne des droits de l’homme, ayant pour mission la protection des droits et libertés garantis y compris une protection contre toute forme de torture. Cet instrument nous a d’ailleurs légué un nombre de décisions précisant la portée de cette interdiction, parmi lesquelles nous pouvons citer l’affaire Selmouni c. France. Parallèlement, les systèmes interaméricain et africain disposent chacun d’un instrument dédiéà l’interdiction de la torture. Il s’agit respectivement de laConvention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Bien que la recension des différents instruments juridiques dédiés à la prohibition de la torture traduit vraisemblablement une volonté des États à interdire la torture, celle-ci n’est a prioricontraignante que pour les États les ayant signées. Toutefois, il est important de rappeler que la communauté internationale a élevé l’interdiction de la torture en tant que norme impérative du droit international, c’est-à-dire une obligation absolue, jus cogens, à laquelle mêmes les États non-signataires ne peuvent y déroger. (v. par ex. Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 422 ; v. aussi Immunité des États (Al-Adsani c. Royaume-Uni) arrêt, CEDH, Recueil des arrêts 2001-XI, p. 117)
La restitution extraordinaire : un cas flagrant de transgression des normes juridiques
La pratique des États a démontré que le respect des normes internationales ne concorde pas souvent avec les enjeux liés à la sécurité. De ce fait, la lutte contre le terrorisme est devenue pour certains États un prétexte pour déroger aux obligations prévues par les droits de l’homme conduisant à la mise en œuvre des pratiques sécuritaires contestables dont celles réalisées au nom de la stratégie américaine dite « Global War on Terror » après les attentats du 11 septembre 2001. Dans le cadre de cette stratégie, la restitution extraordinaire a été une des pratiques les plus médiatisées. Il s’agit d’un mécanisme extrajudiciairepermettant, de manière solennelle et abusive, d’arrêter ou d’enlever illégalement des individus soupçonnés d’être impliqués dans des activités terroristes. De plus, pour se désengager de toute responsabilité internationale, ces opérations se caractérisent par le transfert des détenus vers des États tiersoù les détenusseraient incarcérés dans des prisons secrètes dites « black sites », et parfois même dans des prisons bien connues, à l’instar de la base navale américaine Guantanamo Bay.
À ce sujet, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a écorché ces pratiques dans un rapport en 2006 : « la pratique[américaine] des “restitutions extraordinaires” constitue une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et de l’art. 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques».
Quelques exceptions en Europe
À la suite de la publication d’un rapport du Sénat américain sur le programme de détention et d’interrogatoire de la CIA, le Parlement européen, dans sa Résolution du 8 juin 2016se penchant sur l’utilisation de la torture par la CIA, « prie la Lituanie, la Roumanie et la Pologne de procéder, de manière urgente, transparente, approfondie et efficace, à des enquêtes pénales sur les centres de détention secrets de la CIA sur leur territoire respectif, en prenant pleinement en considération tous les éléments factuels qui ont été divulgués, afin de traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’homme». Dans la même ligne, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la question du non-respect des droits humains dans l’affaire Husayn (Abu Zubaydah) v. Poland, et a condamné, en conclusion, la Pologne pour sa « complicité » dans la mise en place du programme de prisons secrètes de la CIA contraires à la Convention européenne des droits de l’homme.
De toute évidence, malgré la présence de textes internationaux visant une prohibition de la torture en tout temps et en toutes circonstances, il appert que l’institutionnalisation de mécanismes spécifiques pour lutter contre le terrorisme, telle qu’illustrée par le recours à des restitutions extraordinaires, suppose des dérogations réelles, bien qu’elles ne soient pas partagées par tous les États.