La covid 19 : un accélérateur dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages?

Après le SRAS, le virus Ebola, le virus H1N1…la covid 19 est venu dramatiquement compléter la liste de ces maladies infectieuses transmises de l’animal à l’homme, classées sous l’appellation de zoonoses. Si le phénomène en soi n’est pas nouveau, la pandémie a pris une résonance alarmante, nous rappelant, au prix d’une crise sanitaire, sociale et économique à dimension quasi planétaire, que l’Homme et la Nature forment un tout complexe, fragile et interdépendant.

Scientifiques et chercheurs s’accordent aujourd’hui à démontrer la forte probabilité d’une implication de la chauve-souris et du pangolin malais dans cette pandémie ; la première espèce ayant vraisemblablement été l’hôte du virus alors que la seconde en aurait favorisé sa transmission vers l’homme depuis le marché aux animaux de Yuhan en Chine, considéré comme le berceau de la pandémie. Ce sont notamment les conclusions d’une synthèse scientifique récemment publiée dans la revue Zoological Research.

Difficile de ne pas opérer de rapprochement entre cette crise et la problématique mondiale entourant le trafic d’espèces sauvages ; le pangolin malais étant inscrit sur la Liste rouge mondiale des espèces menacées, sous la mention – Danger critique d’extinction.  Très convoité en Chine pour ses propriétés médicinales et pour la qualité de sa chair, ce fourmilier écailleux originaire d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, est victime de braconnage et d’un trafic, aujourd’hui clairement dévoilés.

Si, à la lumière des mesures prises le 24 février 2020 visant à interdire le commerce et la consommation d’animaux sauvages terrestres, la Chine semble vouloir prendre le taureau par les cornes, l’épidémie de Covid 19 est venue, en tout état de cause, raviver l’exigence d’intensifier la lutte contre le trafic illicite d’espèces sauvages en tant que double enjeu de préservation de la biodiversité et de notre santé.

Cette exigence fait d’ailleurs écho aux conclusions formulées par la Plateforme Intergouvernementale de la Biodiversité et des Services Écosystémiques (IPBES), qui aux termes de son dernier rapport, rappelle que les zoonoses représentent 17 % de l’ensemble des maladies infectieuses et causent près de 700 000 décès par an dans le monde. Ce phénomène, étroitement lié à la disparition et à la fragmentation exacerbée des habitats naturels, est d’ailleurs susceptible de s’amplifier.

Expansion agricole, plans d’urbanisation, développement d’infrastructures routières et impacts des changements climatiques, constituent autant de facteurs de risque de contacts entre les humains et les espèces sauvages ainsi que de transmission de certains agents pathogènes, au même titre que le commerce illicite d’espèces sauvages, considéré comme un vecteur important de propagation des virus.

L’outillage réglementaire international en matière de préservation de la biodiversité ne fait pourtant pas défaut. La Convention sur la diversité biologique du 5 juin 1992 et la Convention sur le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction du 3 mars 1973 (Convention CITES) ont indéniablement favorisé l’adoption de normes et de stratégies nationales et régionales en faveur de la protection de la Nature.

Pour autant, ces instruments peinent à endiguer un trafic qui se range parmi les activités illicites les plus lucratives à l’échelle mondiale, après le trafic de stupéfiants, le trafic de produits contrefaits et le trafic humain, soit des bénéfices estimés entre 8 à 20 milliards de dollars par an.

Faible médiatisation, réglementations répressives inexistantes ou ineffectives, peines dérisoires, le tout conjugué à une forte demande de la part des populations locales en Afrique et en Asie ainsi que dans plusieurs pays développés font la part belle à ce type de trafic, de surcroît, fortement entretenu par la pauvreté et la corruption auxquelles s’ajoutent les croyances et influences culturelles locales.

Depuis plusieurs années, les ONG et notamment WWF exhortent les États à privilégier une approche globale et multipartite, intégrant notamment les États, les associations et les entreprises et à définir des actions ciblées à l’encontre de chacun des intermédiaires de la chaîne commerciale, du braconnier au consommateur final, en passant par le trafiquant.

Si la convention CITES encadre, de manière efficace, le commerce de plus de 35.000 espèces sauvages menacées d’extinction au travers un système d’annexes et de permis d’exportation, elle nous montre indéniablement ses limites pour contrer le commerce illicite.

Pour rappel, cette dernière n’autorise le commerce des espèces menacées d’extinction que dans des circonstances exceptionnelles (notamment la recherche scientifique ou la reproduction en captivité). Le commerce des espèces non menacées d’extinction est, quant à lui, fortement réglementé aux fins d’éviter une exploitation susceptible de menacer leur survie. Enfin, s’agissant des espèces à risque d’extinction sur le territoire d’un seul État, la convention requiert l’assistance des autres États pour en contrôler leur commerce.

Là où le bât blesse est que la CITES laisse aux États le soin d’adopter des réglementations répressives. Or, celles-ci sont, dans les faits, inexistantes ou mal appliquées. Nul doute que la criminalisation effective du braconnage et du commerce illicite s’avère essentielle au même titre que l’octroi de mesures économiques alternatives en faveur des populations locales qui vivent de ces trafics, ainsi que d’un travail d’éducation et de sensibilisation pour réduire la demande. 

Une déconstruction des mythes entourant de prétendues propriétés médicinales associées à certains produits dérivés tels que la corne de rhinocéros et les écailles du pangolin, très prisées en Asie, s’impose, au même titre que des mesures de sensibilisation sur les impacts divers découlant de l’acquisition de trophées de chasse ou d’objets de décoration et bijoux divers conçus notamment à partir d‘ivoire ou encore d’accessoires de mode confectionnés à partir de peaux de lynx ou de reptile.

 Les efforts entrepris, depuis plusieurs décennies, par les ONG sont indéniables. En témoigne notamment le Réseau de surveillance du commerce de la faune et de la flore sauvages (TRAFFIC) fondé en 1976 par WWF en partenariat avec l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui a d’ailleurs servi de tremplin à la mise sur pied en 2014 de la Wildlife Crime Initiative (WCI). Celle-ci met en place des actions concrètes telles que la promotion de normes d’application plus strictes dans certains pays ou la définition de stratégies de changement de comportement dans les États où la demande est élevée.  Depuis, les alliances entre ONG et organisations gouvernementales se multiplient. 

Depuis sa création en 2010, le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC) qui regroupe le Secrétariat de la CITES, Interpol, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale des douanes offre un soutien coordonné aux agences nationales de lutte contre la fraude en matière d’espèces sauvages.

La Coalition pour Mettre Fin au Trafic d’Espèces Sauvages en Ligne, mise sur pied en mars 2018, constitue également une avancée significative. Créée sous l’égide de WWF, de l’organisation TRAFFIC et du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) et financée par l’Union européenne, cette alliance associe une trentaine d’entreprises du web, réseaux sociaux et moteurs de recherche dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages.

En bref, une dynamique est en marche que la crise du covid 19 aura, peut-être, pour effet d’accélérer…

1 COMMENTAIRE

  1. Super article Nora! Ça donne envie d’en savoir plus, notamment comment les grosses sociétés de réseau sociaux telles que Facebook/Instagram, Twitter, etc. participent de façon active à la traque de ces exactions. On voit trop de photos pathétiques de chasseurs de lion, éléphants et autres espèces menacées, circuler en toute impunité sur ces médias.

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