Bien qu’il soit constamment attaqué, le principe de la compétence universelle est un instrument puissant pour lutter contre l’impunité relative à la commission de crimes internationaux. Depuis quelques années, on peut parler d’une tendance croissante à l’application de ce principe dans la sphère internationale. En effet, en 2018, l’application de ce principe par les tribunaux nationaux de 16 pays, a traduit en justice plus de 140 suspects des crimes les plus graves, soit 18% de plus que l’année précédente, comme indiqué dans le Rapport annuel sur la compétence universelle (UJAR) 2019 : Surmonter les complexités grâce à la collaboration, publié par l’organisation non gouvernementale ‘Trial International’.
Dans la plupart de ces affaires, les victimes et la société civile ont été la force motrice qui a conduit à l’ouverture de procédures en vertu de la compétence universelle. Comme cela s’est produit dans les affaires Pinochet (Espagne) et Hissène Habré (Belgique/ Senegal), initiées à la suite de plaintes déposées par des particuliers, soit les victimes et la société civile. Toutefois, dans les dernières années cette possibilité a été fortement limitée en Espagne à la suite de la réforme de la compétence universelle au pays.
Pour cette raison, dans les paragraphes suivants, ce blog examine les effets juridiques qu’ont lieu sur l’accès à la justice des victimes et les organisations non gouvernementales après la réforme de la compétence universelle en Espagne. De plus, il est analysé l’interprétation insolite et surprenant du principe de complémentarité de la Cour pénale internationale fait pour la Cour espagnole à propos de son examen sur la constitutionnalité de la réforme susmentionnée.
Les effets de la réforme de la compétence universelle en Espagne sur l’accès à la justice des victimes et les organisations non gouvernementales
Dans le cadre de l’exercice de la compétence universelle, le cas espagnol est particulièrement frappant, étant donné le changement de cap dans ce pays ces dernières années. Si par le passé, ce pays a mené des poursuites relatives à des crimes internationaux dans le cadre de l’application de la compétence universelle, suite à l’adoption de la LOI 1/2014, cette possibilité s’est extrêmement restreinte au point de devenir marginale.
Entre autres limites importantes, cette réforme a soumis le recours aux victimes de la torture, du génocide, des crimes contre l’humanité ou de guerre à de nombreuses conditions, à savoir: le suspect doit être espagnol, résider habituellement en Espagne ou être un étranger se trouvant en Espagne et l’extradition doit avoir été refusée par les autorités espagnoles. Ce n’est qu’en cas de terrorisme que les juges espagnols auront compétence pour poursuivre ce crime si les victimes sont espagnoles, quel que soit le territoire dans lequel se trouve l’auteur, sa nationalité ou son lieu de résidence. De plus, cette loi, s’écartant de la tendance globale, notamment des pays de tradition juridique civiliste, limite fortement l’exercice de l’actio popularis. En conséquence, la procédure ne peut être engagée que par une décision du procureur ou en vertu de la dénonciation des personnes lésées directement.
Malheureusement, plusieurs affaires en cours ont été classées depuis 2014, du fait de cette réforme. Cette situation a fait l’objet d’un appel devant la Cour constitutionnelle espagnole afin d’évaluer sa conformité avec l’ordre juridique, y compris au regard de la norme internationale adoptée par l’Espagne. En décembre 2018, la Cour a déclaré la conformité de la loi de compétence universelle avec l’ordre juridique espagnol. Ainsi, la Cour a estimé que les critères d’activation de la compétence universelle ne doivent pas être réglementés sur la base d’un critère de nationalité mais sur les critères examinés par le législateur, à condition qu’ils soient conformes au droit international. En outre, la Cour considère que la victime devrait chercher l’engagement de poursuite dans un autre État où le droit est plus conforme ou devant la Cour pénale internationale (CPI), bien qu’elle reconnaisse que les deux possibilités sont évidemment lourdes pour une victime et par conséquent place cette dernière dans une position de vulnérabilité.
L’interprétation inversée du principe de complémentarité et son impact sur la vulnérabilité des victimes
En vertu des limites introduites par la LO 1/2014, particulièrement le fait de qu’une victime espagnole ne peut pas déclencher une procédure devant les tribunaux espagnoles, si l’auteur présumé n’est pas espagnol ou résident dans ce pays, la Cour espagnole a décidé que:
« la victime doit soit activer la compétence dans les pays ayant de meilleurs droits, soit exhorter l’État à agir, pour défendre son ressortissant, devant la Cour pénale internationale » (FJ 7, Sentence 140/2018, de 20 décembre 2018)
À mon avis, la position adoptée par la Cour espagnole est contraire au cadre juridique de la CPI en deux aspects essentiels : a) l’interprétation inversée du principe de complémentarité ; et b) les obstacles recontrés par les victimes pour déclencher une procédure devant la Cour pénale international.
S’agissant de la question de la complémentarité (a), la Cour espagnole fait un’ interprétation inversée du principe. Pour justifier cette affirmation, il faut que on prendre en considération le préambule et l’article 1 du Statut de Rome (SR) où il est dit que la CPI « est complémentaire des juridictions pénales nationales ». C’est-à-dire, la CPI exerce la poursuite pénale seulement à titre subsidiaire. Donc, le SR donne une préférence juridictionnelle, aux fins de la complémentarité, à l’État qui a compétence, quel que soit le titre judiciaire. Par conséquent, la position adoptée par la Cour espagnole, ‘d’envoyer’ les victimes à la CPI, est incompréhensible.
D’autre part, et liée à ce qui précède (b), la Cour espagnole semble ignorer que les victimes ne disposent pas de base légale dans le SR pour engager des procédures devant la CPI, ce pouvoir revenant au procureur. Par ailleurs, il est difficile de croire qu’elles pourraient exhorter l’État à agir devant la CPI, comme le propose la Cour espagnole.
De cette façon, l’interprétation faite par la Cour espagnole laisse les victimes dans une position de vulnérabilité parce que leur droit à la justice est gravement entravé.
Conclusion
Vraiment, la réforme de la compétence universelle en Espagne a signifié un énorme pas en arrière dans les poursuites pénales pour crimes internationaux dans le pays. Donc, l’Espagne a passé d’être un pays à la pointe de l’application de ce principe par ses tribunaux à empêcher presque complètement l’accès à la justice, y compris les victimes espagnoles. Devant cette situation, les victimes se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité qui, nous l’espérons, changera bientôt avec l’adoption de la proposition actuelle de réforme de la LO 1/2014, qui élargirait une fois de plus le concept de justice universelle en Espagne.