Conférence Maximilien-Bibaud 2020 – 70 ans de la CEDH : entre audace et retenue

Dans le cadre de l’édition 2020 de la Conférence Maximilien-Bibaud, la SQDI a invité le professeur Olivier Delas à nous présenter ses réflexions à propos des réussites et des failles de la Convention européenne des droits de l’homme qui célèbre ces jours-ci son 70e anniversaire.

Lors de cette conférence, tenue en ligne le 16 décembre 2020, Me Olivier Delas a reconnu que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) demeure un instrument juridique relativement récent. Ce qui ne l’a pas empêché de formuler une critique de celle-ci, en soulignant ses bons coups et son avant-gardisme tout en présentant quelques-unes de ces lacunes.

« On peut lui attribuer tous les superlatifs », affirme-t-il, à commencer par innovatrice. Me Delas considère que ce premier traité international muni d’un mécanisme de contrôle judiciaire, rendant une juridiction accessible aux États et aux victimes alléguées, constitue une nouveauté importante. Elle serait colossale, également, considérant que sa Cour a traité 882 000 affaires entre 1959 et 2019, et s’étend sur un territoire immense. Cette aptitude tentaculaire représente cependant un « cadeau empoisonné », selon le professeur, car la Cour, engorgée, fait preuve des procédures excessivement lentes qui ne rendent pas toujours justice au principe de délai raisonnable.

Quoiqu’il en soit, la CEDH demeure un texte qui renforce l’essence même des droits de la personne. Certes, ses accomplissements doivent impérativement être remis en contexte : « car je pense que ce système avant-gardiste, performant et contraignant pour les États n’aurait pas été possible s’il n’y avait pas eu tous ces millions de morts », relève le titulaire de la Chaire Jean Monnet en intégration européenne de l’Université Laval.

Des protocoles marquants

Me Delas est brièvement revenu sur les protocoles qui ont constitué pour lui des ajouts majeurs à la CEDH et à son utilisation. S’il a évidemment mentionné le protocole 11 instituant une Cour unique et permanente, il a aussi souligné l’importance du protocole 9, qui permet à l’individu requérant de saisir la Cour lui-même.

Selon lui, on ne peut que se réjouir du travail colossal de l’ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Paul Costa. Ses efforts ont contribué à l’adoption du protocole 14, visant une plus grande efficacité de la Cour par le biais d’un nouveau critère d’admissibilité des affaires, et de mesures pour traiter plus rapidement celles dites répétitives pour lesquelles la jurisprudence abonde. À ce sujet, le protocole 15 s’avérerait une avenue de réforme intéressante en proposant une réduction du délai de recours devant la Cour de 6 à 4 mois.

« Cette Cour a eu de très grands présidents qui ont énormément œuvré pour sauver la Cour », a ajouté Me Delas, confiant du même souffle son inquiétude quant à la rotation rapide des présidents actuels. « Quelle force en définitive va pouvoir avoir un juge […] quand on aura des présidents dont la rotation sera extrêmement rapide? », s’interroge-t-il.

Les enjeux contemporains

« On ne peut nier qu’à l’heure actuelle, ce texte et sa juridiction se trouvent confrontés à des enjeux et défis contemporains qui mettent en cause la raison d’être […] et qui guettent tous les systèmes de protection des droits de la personne », se soucie le professeur.

Il voit d’un bon œil les adaptions contemporaines de la CEDH, mais ajoute tout de même un bémol. L’appareil juridique ne doit pas céder aux mœurs contemporaines trop rapidement, parce que si celles-ci font fausse route, l’avenir de l’instrument serait compromis. Or, Me Delas reste persuadé que la CEDH doit demeurer un instrument « vivant » évoluant de pair avec la société internationale.

Pour le chercheur, cela ne fait aucun doute : la CEDH représente le dernier filet de sécurité, « la dernière digue » lorsque la protection des droits de la personne n’est plus assurée correctement par le système politique à l’intérieur des juridictions étatiques. À l’ère des crises internationales diverses, terroriste, sanitaire ou climatique, les États demandent un plus grand aménagement du droit à l’interne, ce qui peut s’avérer problématique. « On est élus, on fait ce qu’on veut, c’est ce qui m’inquiète le plus », confie Me Delas. Parce qu’inévitablement, un jour, les modifications au droit interne risquent d’avoir un impact sur la Cour elle-même. »

L’audace à petits pas

Le 70e anniversaire de la CEDH se tient donc sous le thème de l’audace, mais également de la prudence. L’audace de sa Cour d’avoir inséré le principe de non-refoulement présent dans le droit des réfugiés en droit international et de la personne. « c’est énorme », s’exclame Me Delas, alors que ce principe sera ensuite repris par l’ensemble des systèmes de protection de la personne régionaux et universels, et sera même conventionnalisé.

Toutefois, la prudence a parfois représenté le mot d’ordre de sa Cour. Celle-ci fut tout de même la dernière à renverser sa jurisprudence afin d’y intégrer des mesures provisoires pour éviter les dommages irréparables. « La Cour a attendu la CIJ avant de revirer sa jurisprudence », regrette Olivier Delas. En rapport aux États, le professeur déplore les garanties diplomatiques qui leur sont réservées lorsque qu’ils sont suspectés de violer une norme de jus cogens. « On va se satisfaire d’une assurance diplomatique. […] Cela va développer un système complètement regrettable », s’inquiète-t-il.

L’immigration comme priorité

Pour son 80e ou son 100e anniversaire, le professeur espère que la CEDH et sa Cour vont réussir à exercer leur rôle de filet de sécurité lorsqu’il est question d’immigration. Selon lui, les politiques étatiques de lutte contre l’immigration « montrent leur échec partout ». Il s’indigne du fait que les États redoublent d’efforts afin d’empêcher les étrangers de se prévaloir du système de protection des droits de la personne. Pour lui, un rôle accru de la Cour est essentiel, puisqu’ « on vérifie l’efficacité d’un système de droit de la personne au traitement qu’il réserve aux étrangers ».

Celui-ci signe d’ailleurs un papier dans le numéro hors-série de la RQDI sur la création du principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne par la Cour européenne des droits de l’homme, au moment où les pays européens s’unissent pour contrer l’immigration irrégulière.

L’ensemble du numéro hors-série de la RQDI réunit près d’une quarantaine d’auteurs afin de commémorer les 70 ans de la CEDH. Consultez le numéro ici : https://www.sqdi.org/fr/decembre-2020/.

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