Si la catégorie ‘crime contre la paix et la sécurité de l’humanité’, telle que transcrite par le Statut de Rome, ne permet pas de ressortir toutes les implications nécessaires à la criminalisation de graves atteintes écologiques, les idées à la base de sa conception traduisent une tout autre tendance. Dans leur grande majorité, les projets ayant inspiré à la base la définition de cette catégorie ont souvent avivé le besoin de rencontrer toutes les hypothèses des graves atteintes écologiques. Est-ce une gratuite coïncidence ou une volonté traduisant l’essence logique des choses ? Il vous souviendra qu’en dépit de la masse des textes ficelés par moment ou par endroit, la réalité nous a toujours rappelé l’urgence de ce besoin. Si l’épopée de l’Agent orange rappelait l’impératif de faire face à la réalité d’une guerre écologique, les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima ont ravivé le besoin de protéger l’humanité des graves risques environnementaux. Et que dire de l’Affaire Probo Koala à Abidjan ? Ces réalités rappellent sans doute le souci d’envisager une catégorie criminelle visant toutes les graves hypothèses de criminalité écologique. C’est là d’ailleurs que l’urgence prégnante illustrant ces réalités rejoint la consistance de ces projets de criminalisation jadis rejetés pour telle ou telle autre raison. Ces passages rendent compte de l’intérêt de penser une définition juridique des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité incluant toutes les hypothèses extrêmes de criminalité écologique.
Il se dégage que les quatre incriminations constituant la catégorie ‘crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité’ ne permettra pas de saisir à juste titre cette criminalité environnementale dans toutes ses dimensions. Voilà pourquoi l’urgence de consacrer dans le Statut de Rome une incrimination autonome s’impose. Cette urgence tient justement sur le besoin de rencontrer la multitude d’atteintes écologiques de portée grave commises par des eco-mafias et les multinationales dont les caprices de la legistique ne permettront pas à la CPI de saisir avec netteté. C’est pourquoi, le problème ne se poserait pas seulement en termes d’étendre le champ répressif de cette juridiction aux actes criminels commis dans le contexte précis de la paix. Bien au contraire, la définition des éléments constitutifs de cette incrimination autonome appelle de parcourir toutes les faiblesses qui ressortent des éléments constitutifs de ces quatre incriminations en vue de rencontrer cette criminalité singulière.
Dans ce cas, l’extension du champ répressif de la CPI à ces actes se conçoit à travers la consécration de l’écocide comme cinquième crime du Statut de Rome. Le mérite d’une telle proposition se trouve dans le fait que, avec son expérience et sa logistique, la CPI pourra réprimer ces actes à travers deux de ses crimes : tantôt en temps de paix comme crime d’écocide, tantôt en temps de guerre en vertu de l’article 8-b-iv du Statut de Rome. Cette proposition vient s’ajouter à la criminalisation jadis consacrée par le Statut de Rome dans le contexte de guerre. Bien des propositions se sont focalisées tant sur la possibilité d’élargir le champ matériel de la CPI à ces atteintes que sur celle d’instituer une nouvelle juridiction pour ce faire. La première proposition relève de la Charte de Bruxelles qui propose d’élargir le champ matériel de la CPI aux crimes environnementaux. Même si elle préconise d’intégrer ces actes dans la définition du crime contre l’humanité, cette proposition a l’avantage d’être réaliste dans la mesure où on est devant une juridiction dont la structure existe déjà. La deuxième quant à elle tient sur l’institution d’une nouvelle structure. Même si elle doit faire face aux exigences d’ordre logistique nécessitant une longue période de rodage, cette dernière a le mérite de présenter une criminalisation systématisée. Elle permet de consacrer une criminalisation basée sur la sureté de la planète comme valeur protégée. Or, la première proposition postule une criminalisation basée sur l’humanité comme bien juridique à protéger. Considérer l’écocide à titre d’un nouveau crime contre l’humanité risque de créer une confusion conceptuelle et normative. C’est pourquoi, une solution mixte permettra de concevoir un dispositif répressif équilibré.
Il appert, en vue de concrétiser cette option, de réviser le Statut de Rome. A travers une lecture compilée des prescrits des articles 121, 122, 123 du Statut de Rome et 39 de la Convention de Vienne, il est possible d’envisager une révision du Statut de Rome aux fins d’y intégrer le crime d’écocide. Ces dispositions consacrent la procédure à suivre pour ce faire. Cela doit commencer par l’acceptation par une majorité des membres votants à une réunion de l’Assemblée des États parties pour traiter d’une proposition d’amendements émanant d’un État partie au Statut de Rome. A l’issue de cette réunion, la proposition doit être adoptée à la majorité de deux tiers, à défaut du consensus. C’est alors que les parties au Statut de Rome doivent attendre six mois pour que ces amendements entrent en vigueur, si les amendements sont acceptés. Ces modifications tiennent non seulement sur l’intégration de cette catégorie mais aussi sur l’harmonisation des options pénales résultant de cette criminalisation. Il en va de la responsabilité des personnes morales, l’institution des procureurs adjoints spécialisés à la question environnementale, la conciliation de la rigueur pénale à la singularité du droit de l’environnement. D’où, les dispositions visées par la révision sont les articles 5, 8ter, 9, 15, 17, 20, 21bis, 25, 33, 36, 42, 43, 53, 65, 75, 77 et 121 du Statut de Rome.
Le défi dénotant de cette révision est surement lié à l’opportunité d’impliquer plus d’États pour franchir le seuil numérique requis pour l’entrée en vigueur de ces amendements au Statut de Rome. C’est à ce titre qu’il appert de souligner que la démarche doit s’appuyer sur les potentialités politiques liés aux défis environnementaux que rencontrent certains pays insulaires éprouvant de sérieux problèmes de survie. Il va falloir alors constituer un bloc des États écologiquement fragiles afin de structurer une conscience étatique face aux enjeux écologiques de l’ère, à la manière du bloc des États du tiers monde qui ont réussis à imposer bien d’éléments pour la structuration d’un nouvel ordre mondial. C’est seulement à travers un tel bloc que l’on pourra penser imposer cette restructuration du Statut de Rome en vue de la répression supranationale de graves atteintes écologiques.
Dans le fond, une telle restructuration nécessitera une adaptation institutionnelle pour l’opérationnalisation de la répression de graves atteintes écologiques. Il en va de la restructuration des institutions de poursuite pour prendre en compte la singularité de la criminalité environnementale. La singularité de cette criminalité nécessite des organes spécifiques. L’institution des procureurs spéciaux de l’environnement aux côtés du procureur titulaire sera d’un apport évident à la recherche et à la poursuite de graves atteintes écologiques. Cette restructuration institutionnelle doit instaurer un fondement de coopération avec les institutions internationales d’appréciation de la durabilité environnementale et de facilitation de poursuite de la criminalité transnationale organisé. Il n’en demeure pas moins vrai de la prise en compte du rôle du PNUE, de l’OMS, de l’AIEA, de l’Interpol, de l’Eurojust, etc. Elle doit également impliquer l’accès des ONGI réputée dans la protection de l’environnement aux procès relatifs au crime d’écocide.
Les autres aspects de restructuration concernent aussi le régime de réparation et des peines de la CPI aux crimes environnementaux. Cette adaptation prendra en compte la justice restauratrice, la justice transitionnelle, les peines destinées aux personnes morales de droit. Il va sans dire que l’hypothèse envisageant cette restructuration de la CPI en faveur de la poursuite de ces actes vaut son pesant d’or tant, en dépit des véhémentes critiques sur la politisation de la Cour, elle demeure la seule institution qui, de par son expérience, son bilan et son histoire, peut efficacement faire face à la recrudescence terrifiante de la criminalité environnementale.