L’Afrique et l’environnement : Une longue histoire !

Dans son rapport à l’environnement, il est généralement admis que « l’Afrique ne s’est impliquée que très progressivement dans le courant mondial en faveur de la protection de l’environnement » (Kamto, 1996, p 32) alors que l’Afrique traditionnelle, animiste ou totémiste a toujours composé avec l’environnement ou certains de ses éléments, d’où la nécessité de rappeler que les règlementations environnementales africaines étaient bien plus anciennes que celles mondiales. Dans cette perspective, une distinction entre les Nations africaines d’avant les indépendances et les États modernes africains d’après les indépendances doit être faite, et nous commencerons par le narratif dominant avant de le déconstruire.

 

L’Afrique après les indépendances

La conférence des Nations Unies sur l’environnement tenue à Stockholm en 1972 est généralement considérée comme l’événement le plus important de la mobilisation internationale en faveur de la protection de l’environnement. Cependant, plusieurs jeunes États africains nouvellement indépendants voyaient dans cette conférence « une menace, tandis que d’autres y étaient franchement hostiles » (Kamto, 1996, p 32).  La raison est toute simple : le développement et le rétrécissement de l’écart entre eux et les anciennes puissances coloniales était la préoccupation majeure de la plupart de ces États qui considéraient alors les préoccupations environnementales comme un obstacle à leur développement. Après les indépendances, le premier rapport de l’Afrique à l’environnement a été une relation de méfiance et parfois de défiance qui visait à éviter de subir à nouveau une autre forme d’impérialisme : « l’impérialisme écologique ». « La Conférence de Stockholm servit donc de tribune à l’expression de cette défiance africaine et tiers-mondiste vis-à-vis de la croisade écologique qui s’engageait alors ». (Kamto, 1996, p 33).

 

Après cette phase de la méfiance, s’en est suivie celle de la prise de conscience et de l’engagement des États modernes africains pour la protection de l’environnement. Le point d’orgue de cet engagement est l’inscription des préoccupations environnementales dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples d’une part et dans les Constitutions internes des États d’autre part. Ainsi l’article 24 de Charte africaine reconnaît que « Tous les peuples ont le droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ».  De l’autre côté, au moins 47 Constitutions africaines contiennent des dispositions relatives à l’environnement : droit à un environnement sain, obligation de l’État, droits procéduraux environnementaux, etc. Les États africains dont les constitutions sont silencieuses par rapport à l’environnement sont : Djibouti, la Sierra Léone, la Libye, la Guinée-Bissau, le Libéria, l’ile Maurice, le Botswana et la République arabe Sahraoui. Cet engagement de l’Afrique souvent présenté comme un activisme récent n’est pourtant rien d’autre que la continuité d’une longue histoire parfois méconnue.

 

L’Afrique avant les indépendances

Les nations africaines, avant de devenir des États modernes indépendants à la fin de la colonisation, disposaient déjà de règlementations régissant leur rapport à l’environnement. L’un des exemples les plus éloquents est celui de la Charte du Mandé proclamée en 1236 à Kurukan Fuga et rédigée à la suite de la bataille de Kirina entre Soumaoro Kanté et Soundjata Keita. Le Chapitre 3 de cette Charte intitulé « De la préservation de la Nature » constitue un véritable droit de l’environnement avant la lettre. Dans cette partie, l’article 40 dispose que : « la brousse est notre bien le plus précieux, chacun se doit de la protéger et de la préserver pour le bonheur de tous ». Selon l’article 42, « avant de mettre le feu à la brousse, ne regardez pas à terre, levez la tête en direction de la cime des arbres ».

 

Au-delà de cette Charte de l’empire du mandingue, l’animisme et le totémisme, schèmes de pensée très largement partagés dans cette Afrique d’avant les États modernes, préconisaient le respect et la protection de l’environnement et de certains de ces éléments érigés en totem ou attributaires d’une âme comparable à celle humaine. On pense notamment ici aux forêts sacrées ou aux bois sacrés, aux animaux sacralisés, aux fleuves ou marigots sacrés ou abritant les mânes des ancêtres, aux multiples totems des multiples ethnies, etc. qui bénéficient ipso facto d’une protection renforcée. Par exemple, il y a les caïmans sacrés de Sabou au Burkina Faso qui bénéficient d’une protection incontestable : ils ne doivent en aucun cas être tués. En effet, « ils sont plus d’une centaine et vivent dans une mare depuis des siècles au côté nord de Sabou. Pour avoir sauvé la vie de leur ancêtre chasseur, les descendants de la famille Kaboré et tout le village de Sabou avec, vénèrent ces crocodiles ».

 

 

Une seule et même histoire

La relation de l’Afrique à l’environnement a de ce fait une histoire bien plus ancienne. Les récits qui occultent les nations et peuples africains avant leur organisation en Etats modernes sont sinon très réducteurs, du moins partiels. Ainsi, en définitive, l’Afrique et l’environnement, c’est une longue histoire marquée par les traditions orales, l’animisme, le totémisme, la cristallisation dans le marbre de textes et la rencontre avec le mouvement écologique mondial. L’Afrique n’a pas seulement reçu le mouvement international d’origine occidental, elle l’a aussi inspiré et impacté. L’histoire de la relation africaine à l’environnement est à l’image de l’histoire de la relation de l’africaine aux droits humains : une longue histoire très souvent narrée partiellement. L’attitude en apparence paradoxale des Etats de l’Afrique indépendante, allant de la méfiance à l’engagement en passant par la prise de conscience n’est qu’une construction historiographique, certes la plus répandue, mais une parmi tant d’autres possibles. 

Références

Maurice Kamto, Droit de l’environnement en Afrique, Universités francophones, Vanves, EDICEF, 1996

La Charte de Kurukan Fuga, Atelier régional de concertation entre traditionalistes mandingues et communicateurs des Radios Rurales (Kankan du 02 au 12 mars 1998), Transcrit par Monsieur Siriman KOUYATE Conseiller à la Cour d’Appel de Kankan (Guinée) en ligne : https://www.bing.com/search?q=la+charte+du+mande+pdf&qs=SC&pq=la+charte+du+mand%c3%a9+&sc=1-19&cvid=804CF5F6E723484E9246C0E17C35F9E2&FORM=QBRE&sp=1

Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, (original français), Nairobi, 27 juin 1981, Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements, 24-27 juin 1981, O.U.A. Doc. CAB/LEG/67/3/Rév.5, en ligne : https://www.bing.com/search?q=la+charte+africaine+des+droits+de+l%27homme+PDF&qs=n&form=QBRE&sp=-1&pq=la+charte+africaine+des+droits+de+l%27homme+pdf&sc=0-45&sk=&cvid=8A3FEE6E75034CC580125B2BA5D01A83

Office National du Tourisme Burkinabè, site officiel, mare aux crocodiles sacrés de Sabou : https://www.ontb.bf/visites/sites-touristiques/mares-aux-crocodiles-sacres-de-sabou

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