Le 13 janvier 2022, la Haute Cour régionale de Coblence (Oberlandesgericht, Koblenz), Allemagne, a jugé coupable de crime contre l’humanité et condamné à une peine de réclusion à perpétuité M. Anwar Raslan, ancien colonel et chef des interrogatoires dans une prison des services de renseignements syriens (ZDF, 2022).
Monsieur Raslan était accusé de meurtres et d’actes de torture à l’encontre de détenus lorsqu’il était en poste dans le centre de détention d’al-Khatib, à Damas. Si monsieur Eyad Alghareib, ressortissant syrien, a déjà été condamné pour complicité de crime contre l’humanité par les tribunaux allemands, la condamnation de monsieur Raslan en tant qu’auteur d’un tel crime constitue le premier procès sur la torture d’État en Syrie (Spiegel, 2022). Cette condamnation s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence allemande et semble aller plus loin en matière de répression des crimes internationaux.
La Cour pénale internationale (CPI) n’ayant pas compétence pour connaitre de cette affaire, cette condamnation a été rendue possible par la mise en œuvre de la compétence universelle reconnue en la matière par l’État allemand à ses juridictions. Cette affaire met en lumière les lacunes du système de responsabilité pénale internationale et démontre l’importance des juridictions nationales afin de lutter contre l’impunité des criminels internationaux échappant à la compétence de la CPI.
La compétence restreinte de la Cour pénale internationale
La CPI constitue la première juridiction internationale permanente à vocation universelle. Fondée par le Statut de Rome (Statut) de 1998, elle est entrée en activité en 2002. La CPI est compétente pour connaitre des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des crimes d’agression (art 5 du Statut). De plus, la CPI aura compétence pour connaitre d’un crime commis par un ressortissant ou sur le territoire d’un État partie au Statut ou ayant accepté compétence de la CPI (art 12, 13 du Statut). Cependant, la Cour n’est compétente que pour connaitre des crimes commis après l’entrée en vigueur dudit Statut à l’égard des États concernés (art 11 du Statut). Le Procureur de la CPI pourra être saisi par un État partie ou par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (CSNU). Cette dernière hypothèse permettrait à la CPI de se saisir d’une affaire pour laquelle n’aurait normalement pas compétence au regard des critères énoncés ci-avant. Il est donc d’ores et déjà possible de constater que la Cour ne dispose pas d’une compétence universelle. Celle-ci est effectivement limitée matériellement, temporellement, géographiquement et relativement à la nationalité des individus pouvant être poursuivis.
En l’espèce, la Syrie n’a ni signé le Statut ni accepté la compétence de la CPI et les crimes visés n’ayant pas eu lieu sur le territoire d’un État partie au Statut, la CPI n’était pas compétente pour instruire cette affaire. De plus, le CSNU n’a pas souhaité déférer celle-ci au Procureur de la CPI (Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 2022).
Ainsi, sans l’intervention des tribunaux allemands pour combler cette lacune du système pénal international, le crime contre l’humanité commis par M. Raslan serait resté impuni.
L’exercice de la compétence universelle par les tribunaux nationaux
De manière générale, les juridictions nationales sont compétentes dans trois hypothèses : lorsqu’un crime est commis sur le territoire de l’État auquel la juridiction appartient (compétence territoriale) ou lorsque l’auteur du crime (compétence personnelle « active ») ou la victime du crime (compétence personnelle « passive ») est un ressortissant de cet État. Il existe en outre une quatrième hypothèse, celle dans laquelle un État peut accorder à ses juridictions nationales la compétence de connaitre des crimes commis à l’étranger et impliquant des ressortissants étrangers. Il s’agit ici de la compétence universelle qui ne vaut que pour certains crimes jugés les plus importants (Corten, Dubuisson, Koutroulis et Lagerwall, Introduction critique au droit international, 2017, aux pp 286-287).
C’est cette dernière hypothèse de compétence que la Haute Cour régionale de Coblence (Haute Cour) a mise en œuvre afin de pouvoir instruire le procès et prononcer la condamnation de M. Raslan. Pour ce faire, la Cour s’est fondée sur les paragraphes 1 et 7 du Code de droit pénal international allemand (Völkerstrafgesetzbuch, para 1,7) qui reconnait aux juridictions allemandes la possibilité d’exercer cette compétence universelle pour connaitre de certains crimes particuliers qui sont le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Ce principe de la compétence universelle mis en œuvre en l’espèce est d’autant plus important dans ce contexte que certains criminels syriens ayant agi sous le régime de Bachar el-Assad à partir de 2011, au début de la guerre civile syrienne, se sont réfugiés en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe (Courrier international, 2022). Tel est d’ailleurs le cas de M. Raslan qui, après avoir déserté en 2012, a trouvé refuge à Berlin en 2014 (Radio-Canada, 2022).
Il convient finalement de rappeler que le crime contre l’humanité est défini à l’article 7 du Statut comme un acte revêtant un caractère général et systématique visant « toute population civile et en connaissance de cette attaque ». Parmi les actes énumérés à cet article figurent notamment le meurtre, la torture, la privation grave de liberté ou encore le viol.
Afin d’établir l’existence d’un crime contre l’humanité commis par M. Raslan, la première chambre pénale de la Haute Cour a d’abord constaté l’existence d’homicides, de tortures, de privations de liberté graves et de viols attribuables à ce dernier. Elle a ensuite constaté le caractère généralisé et systémique de l’attaque menée par l’État syrien contre sa population civile à partir de 2011, lorsque le printemps arabe s’est étendu à la Syrie. La Haute Cour a enfin établi que ces attaques sont attribuables au régime du Président Bachar el-Assad et que celles-ci avaient pour but de réprimer les opposants au régime. Ainsi, selon le Haute Cour, le crime contre l’humanité dont M. Raslan était accusé est caractérisé (Oberlandesgericht Koblenz, 2022).
La mise en œuvre de la compétence universelle saluée à l’international mais pas encore généralisée
Cette décision a été saluée par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans un communiqué du 13 janvier 2022 qui reconnait qu’il s’agit-là « d’un exemple clair de la manière dont les tribunaux nationaux peuvent et doivent combler les lacunes en matière de reddition des comptes pour de tels crimes » (ONU info, 2022) et encourage les autres juridictions nationales à suivre cet exemple. Certaines ONG, à l’instar de Human Rights Watch ou Amnesty international ont également accueilli positivement cette condamnation.
D’autres procédures pénales sont en cours à l’encontre d’individus accusés d’avoir commis des crimes sous le régime de Bachar el-Assad. À titre d’exemple, le procès de M. Alaa Mousa doit débuter ce mois-ci à Francfort, Allemagne (CNN, 2022).
Il doit être noté que, bien que les dispositions de certains traités enjoignent les États à exercer leur compétence pour connaitre de certaines infractions (exemple l’article 5 de la Convention contre la torture, 1984), le choix de conférer une compétence universelle aux tribunaux nationaux revient à chaque État. La mise en œuvre de la compétence universelle n’est donc pas automatique comme en témoigne l’arrêt rendu le 24 novembre 2021 par la Cour de cassation française. Cette dernière s’est déclarée incompétente pour poursuivre un ex-soldat syrien arrêté sur le territoire français et accusé de crime contre l’humanité. Ceci confirme que le système pénal international n’est pas sans failles et que le mécanisme de la compétence universelle ne constitue pas une solution parfaite puisqu’elle dépend de la volonté des États. Finalement, comme le rappelle la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, les exactions n’ont pas cessées en Syrie et « les efforts visant à tenir les principaux responsables de ces crimes doivent se poursuive. » (ONU Info, 2022).