Et si le Pacte mondial pour l’environnement prenait la forme d’une simple déclaration : un cheval de Troie pour une meilleure mise en œuvre des normes environnementales ?*

Dans les mois suivant son adoption par le Club des juristes en 2017, le projet de Pacte mondial pour l’environnement a fait grand bruit. Soutenu par des chefs d’État influents, il a fait l’objet de discussion à l’Assemblée générale des Nations Unies et a donné lieu à un rapport en 2018 du Secrétaire général des Nations Unies. Ce dernier recommande l’élaboration d’un « instrument international complet et unificateur qui rassemble tous les principes du droit de l’environnement » (p. 2). Un groupe de travail à composition non limitée a alors été créé. À l’issue de ces réunions, le groupe de travail a finalement suggéré que le projet de Pacte prenne la forme d’une déclaration politique. On devine la déception des promoteurs du Pacte qui voyaient déjà le Pacte devenir un texte contraignant, rien de moins que le traité international fixant un socle commun de normes fondamentales de protection de l’environnement. Cependant, il ne faut pas négliger le potentiel que peut avoir une simple déclaration et surtout le processus de négociation menant à l’émergence d’un consensus sur la mise en œuvre des normes qu’elle contient. En ce sens, un peu comme un cheval de Troie, une telle déclaration a le potentiel de réussir là où un traité formel pourrait échouer.

  1. La négociation multilatérale d’une déclaration comme prétexte à l’émergence d’une conscience juridique collective

Malgré la croyance populaire, si l’adoption d’un traité peut produire les effets escomptés, il n’est pas dans tous les cas la solution à privilégier. Concevoir les choses autrement mènerait à ignorer le manque d’effectivité de plusieurs traités et à attribuer au résultat final une importance démesurée par rapport à l’intérêt que représente le processus en soi. C’est en ce sens que l’ordre juridique international se distingue : la production normative menée en son sein procède d’une logique unique relevant davantage de la création d’une conscience juridique collective entre les États, et ce, indépendamment de la nature de la source émanant du processus. Autrement dit, que le processus mène à l’adoption d’un traité, d’un acte concerté non conventionnel ou d’une simple déclaration, c’est le niveau d’adhésion des États à la norme qui déterminera ultimement les chances que celle-ci soit effectivement mise en œuvre.

En matière de protection de l’environnement, le rapport du Secrétaire général des Nations Unies convient qu’il existe déjà plusieurs traités internationaux. Le cadre normatif existe donc. Mais il est morcelé, sectoriel, imprécis et, surtout, il souffre d’un manque de consensus international. Cela affecte son efficacité et son application.

La décision d’adopter une simple déclaration n’est peut-être pas nécessairement à déplorer. Elle est peut-être même la meilleure. En effet, dans une société internationale divisée, l’adoption d’un traité aurait pu être minée par les intérêts égoïstes des États et aboutir à un texte édulcoré. La négociation d’une simple déclaration pourrait donc permettre aux États d’avoir un réel dialogue, et ultimement d’identifier et définir sans ambiguïté un socle commun de principes applicables à tous.

À cet égard, le processus qui a conduit à l’adoption de la Déclaration de l’OIT relative aux droits et principes fondamentaux du travail en 1998 apparaît riche en enseignements. Il permet de constater la portée que peut avoir une simple déclaration dans le processus menant à l’émergence – complexe et laborieuse – d’un consensus international indispensable à la création de normes applicables par tous, indépendamment de l’existence d’un instrument conventionnel traditionnel.

  1. La Déclaration de l’OIT de 1998 : Un outil pour la promotion et la mise en œuvre des droits et principes fondamentaux du travail

La Déclaration de l’OIT de 1998 doit être considérée avant tout comme un instrument promotionnel. Son adoption procédait d’une idée novatrice : « promouvoir une dynamique positive, en permettant un échange d’expérience » (Maupain, 1999). Elle fixait des droits et principes fondamentaux que tous devraient respecter. Elle établissait un standard humain de base destiné à transcender les frontières. Elle imposait une limite à la mondialisation en tentant d’éviter le nivellement par le bas en matière de normes sociales. Surtout, elle visait à renforcer les activités de coopération technique et constituait un objectif commun du système multilatéral.

Certes, il n’est pas question d’assimiler la déclaration en cours de négociation sur les questions environnementales à la Déclaration de l’OIT de 1998. Cette dernière se distingue à plusieurs égards : elle a été adoptée dans un contexte précis, suivant les particularités propres à l’OIT, et son mécanisme de suivi s’appuie sur l’article 19(5)(e) de la Constitution de l’OIT pour obliger même les États n’ayant pas ratifié les conventions fondamentales à faire régulièrement rapport. Il n’en demeure pas moins que le processus multilatéral qui a conduit à l’adoption de ces deux déclarations a le potentiel de produire des effets similaires. Bien entendu, ce potentiel ne peut être réalisé que si une déclaration émerge des négociations en cours et surtout si ces négociations font émerger à un consensus fort.

Pour rappel, entre juin 1994 et mars 1996, les discussions relatives à l’adoption éventuelle d’un nouvel instrument international au sein de l’OIT avaient porté sur l’élaboration d’un instrument contraignant. C’est donc tardivement qu’elles ont convergé vers l’adoption d’une déclaration non contraignante. Au final, après quatre années de négociations, de débats et d’intenses consultations ont été consacrées à l’adoption d’une simple Déclaration tenant sur trois pages. Néanmoins, les négociations ont permis d’aller encore plus loin dans la mise en œuvre des normes de travail déjà inscrites dans les conventions. En effet, les différentes parties impliquées ont identifié quatre droits et principes qu’elles ont qualifiés de fondamentaux et qui aujourd’hui font l’objet d’un consensus international : la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.

Au cours des années de négociation qui ont conduit à la détermination des droits et principes à inclure, les représentants ont eu l’occasion d’exprimer leur perception quant à ces droits et principes, et d’expliquer les difficultés, les limites et les obstacles qu’ils rencontrent pour les mettre efficacement en œuvre au sein de leur ordre juridique. Ces explications, prenant souvent la forme de justifications, loin d’avoir eu pour effet d’affaiblir les principes en question, ont contribué à confirmer leur importance et l’objectif de les rendre universellement effectifs. En ce sens, le processus de négociation multilatérale a lui-même produit des résultats, avant même l’adoption de la Déclaration. En effet, grâce à la consultation des décideurs politiques, la question des droits et principes fondamentaux du travail a été remise à l’ordre du jour au niveau national. De plus, pendant la période de négociation et dans les années qui ont suivi, un nombre record de ratifications de conventions portant sur les thèmes des quatre droits et principes fondamentaux a été enregistré (La Havoray, 2009 ; Duplessis, 2003).

Ainsi, au-delà du résultat, la négociation elle-même a permis certaines avancées. Le processus a permis de cristalliser les quatre droits et principes fondamentaux comme des normes coutumières et des obligations erga omnes qui ne peuvent plus être remises en cause. Une véritable conscience juridique collective a ainsi émergé de ce processus de négociation.

  1. La Déclaration politique : une main de fer dans un gant de velours ?

On l’oublie souvent, l’adoption d’un instrument juridique non contraignant tel qu’une déclaration a le potentiel de produire des effets juridiques non négligeables. Dans certains cas, la déclaration permet même davantage qu’un texte contraignant, car elle n’est pas soumise à l’acceptation des États et à son entrée en vigueur. Elle n’est pas non plus menacée par l’application de réserves ou de retrait. Certes, elle n’est pas obligatoire, mais il ne faut pas automatiquement déduire de la forme d’un instrument qu’il est nécessairement non contraignant, dépourvu de tout effet juridique. Comme le rappelle Georges Abi-Saab : « juridicité ne signifie pas nécessairement oligatoriété et pertinence ou effet juridique ne se réduit pas seulement à effet obligatoire » (Abi-Saab, 1993).

Un instrument non contraignant, en l’occurrence une déclaration, crée certes des effets juridiques dès son adoption. Sa portée juridique ne peut être réduite à sa seule justiciabilité, ce qui reviendrait à dire qu’une norme ou un instrument n’est juridique que s’il peut être appliqué par une Cour (Affaire du Sud-Ouest africain, 1966, par. 86), ou à l’existence ou non d’une sanction en cas de non-respect.

Comme le rappelle la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, les déclarations de l’Assemblée générale, bien que non contraignantes, peuvent avoir un effet normatif et soutenir l’existence ou l’émergence d’une opinio juris (CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaire, 1996, p. 254 et 255). Une déclaration peut également avoir un effet permissif en droit (Flückiger, 2009), et même si son adoption n’entraîne pas l’obligation de l’exécuter de bonne foi comme s’il s’agissait d’un traité conclu et ratifié par eux, les États restent liés par le principe de bonne foi dans leurs relations internationales (CIJ, Affaire des Essais nucléaires, 1974, pp. 267‑268; CPIJ, Affaire du Groenland oriental, 1933, p. 71; CIJ, Affaire du Sud-Ouest africain, 1966, pp. 402‑404, 417 et 418).

De plus, bien qu’une déclaration ne crée pas d’obligation entraînant automatiquement la responsabilité de l’auteur en cas de manquement, la déclaration est susceptible de créer une attente, une expectative et, lorsque des sujets de droit ajustent leur comportement en conséquence, il devient parfois possible d’appliquer le principe d’estoppel (CIJ, Plateau continentale de la mer du Nord, 1969, par. 30). En effet, d’une déclaration énonçant des principes fondamentaux découle nécessairement une forme d’engagement moral, une promesse commune, de la part de ceux qui votent en sa faveur, et par conséquent, un droit de regard mutuel sur la manière dont les autres pays l’appliquent.

La matière sur laquelle porte une déclaration acquiert un caractère international en raison de l’intérêt que lui ont prêté ses auteurs. Ceci explique probablement l’inclusion de plus en plus systématique des quatre droits et principes fondamentaux du travail dans les accords de libre-échange[i] ; les États reconnaissent leur valeur fondamentale et considèrent qu’il est important de les rappeler. Ils acceptent ainsi de reléguer la liberté commerciale au second plan.

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Pour plusieurs, l’adoption d’un traité constituait la solution miracle à une meilleure gouvernance internationale de l’environnement. Or, parfois, une simple Déclaration peut produire plus d’effets qu’un traité. L’adoption d’une déclaration pourrait, en plus d’offrir l’ensemble des avantages que présente un instrument de droit souple pour une mise en œuvre plus effective, constituer la preuve de cette volonté d’action individuelle et collective. Un outil de soft law pourrait enfin préparer les mentalités à l’adoption ultérieure d’un instrument contraignant.

Certains diront qu’il existe déjà un nombre de forums de discussion en matière de gouvernance mondiale de l’environnement. Mais aucun d’eux n’est dédié à une question d’importance : identifier une base commune de principes universels d’application générale en droit de l’environnement et définir ces principes de manière à avoir une compréhension commune de chacun d’eux. Dans une perspective réaliste, on doit se rendre à l’évidence : l’adoption d’un traité ne pourrait fort probablement pas permettre d’atteindre ces résultats.

L’idée de l’adoption d’une déclaration s’impose non pas comme un ersatz d’outil conventionnel généralement utilisé, mais comme une solution face à un droit international de l’environnement fragmenté dont la réorganisation dépend des velléités égoïstes des États. Un consensus doit émerger pour que l’environnement soit protégé globalement et sans réserve. Cependant, il faut se rendre à l’évidence : l’adoption d’un traité ne permettrait très probablement pas d’atteindre ces résultats. C’est en ce sens qu’une simple déclaration politique peut indirectement permettre de réaliser ce qu’il apparaît parfois impossible à atteindre autrement. Comme le rappelait l’arbitre René-Jean Dupuy, « [a]u-delà des apparences, une simple déclaration ou une courte résolution est susceptible de porter en elle des principes reconnus, acceptés et universellement respectés » (Texaco Calasiatic c. Gouvernement libyen, 1977, par 87).

Bibliographie (en ordre d’apparition dans le texte)

Maupain, « OIT, justice sociale et mondialisation », R.C.A.D.I., 1999, vol. 278, n°205, p. 272.

Cl. La Havoray, Les droits fondamentaux au travail : Origines, statut et impact en droit international, Genève, Graduate Institute Publications, 2009, chapitre 2, https://books.openedition.org/iheid/1013#bodyftn50.

Duplessis. « La Déclaration de l’OIT relative aux droits fondamentaux au travail : Une nouvelle forme de régulation efficace? » Relations industrielles, 2004, vol. 59, n° 1, pp. 52 et 64, et note de bas de page 15.

Abi-Saab, « Éloge du droit assourdi; Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain » dans Nouveaux itinéraires en droit. Hommage à François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993 59 p. 62.

Commission du droit international, Détermination du droit international coutumier, A/73/10, aux 127 et 156.

Flückiger, Pourquoi respectons-nous la soft law ?, Revue européenne des sciences sociales, 2009, vol. 57, n° 144, p. 73, p 16.

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*Ce billet de blogue est un résumé de l’article suivant : Geneviève Dufour, « Et si le Pacte mondial pour l’environnement prenait la forme d’une simple déclaration : un cheval de Troie pour une meilleure mise en œuvre des normes environnementales ? » dans Olivier Delas, Repenser le multilatéralisme, Bruxelles, Bruylant, 2021. La version anglaise de ce billet de blogue est également publiée dans Pathway to the 2022 Declaration, en ligne : <https://www.pathway2022declaration.org/article/what-if-the-global-pact-for-the-environment-took-the-form-of-a-simple-declaration-a-trojan-horse-for-better-implementation-of-environmental-standards/>.

 

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