« Le veto n’est pas la pierre angulaire des Nations Unies,
mais sa pierre tombale » (AGNU, Costa Rica, 2022)
Le 26 avril 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies (« Assemblée générale ») a adopté une résolution ayant trait au droit de veto des Membres Permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies (« Conseil de sécurité »). Plus précisément, elle ouvre la possibilité qu’à chaque utilisation du droit de veto, un débat soit organisé à l’Assemblée générale dans les 10 jours suivants. Avant de présenter les contours de cette résolution (II) ainsi que de discuter de son potentiel impact (III), un bref retour sur le droit de veto amorce le présent billet de blogue (I).
Le droit de veto : un bref aperçu historico-juridique
Très brièvement, en vertu de l’article 27(3) de la Charte des Nations Unies, les Membres Permanents du Conseil de sécurité (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) disposent d’un droit de veto pour toutes les décisions qui ne portent pas exclusivement sur des questions procédurales. Concrètement, une décision portant sur une question substantielle (ex : caractériser une menace à la paix, déférer une situation à la Cour pénale internationale…) ne peut être adoptée si l’un de ces cinq États s’y oppose formellement, par un « non » au moment du vote ; en notant que l’abstention n’équivaut pas à un refus (CIJ, Affaire dite du Sud-Ouest Africain, 1971, par. 22). Un tel pouvoir entre les mains de ces États n’a cessé, depuis son institution, de faire l’objet de vives critiques. Décrit comme « anachronique», comme la « tare originelle » du Conseil, le droit de veto a pourtant été perçu comme indispensable à la création même de l’ONU tant, dans les années 1940, il garantissait une collaboration continue des cinq grandes puissances ; élément consubstantiel à la réalisation des objectifs onusiens.
Responsable de la paralysie du Conseil de sécurité, organe chargé à titre primaire du maintien de la paix et de la sécurité internationales (art. 24 de la Charte), comme l’illustre très récemment le cas ukrainien (projet S/PV.8979), le droit de veto s’est développé en parallèle de l’idée de le réformer ou à tout le moins de l’encadrer. Dès la première session de l’Assemblée générale, cette dernière mettait en garde le Conseil de sécurité de « faire en sorte que l’exercice du privilège du veto […] n’empêche pas le Conseil de sécurité de prendre des décisions rapides » (voir résolution 40(1) Assemblée générale). L’encadrement du veto fait partie intégrante du processus de réforme du Conseil de sécurité portant à l’origine uniquement sur sa composition dont les discussions ont été entamées en 1992. À cet égard, des propositions précises ont également été émises par certaines délégations pour dissocier le droit de veto de l’arbitraire qui le caractérise ou encore pour l’interdire en cas de situations de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Pourtant, un certain scepticisme quant à une potentielle réussite de telles réformes règne chez les commentateurs qui n’hésitent pas à parler d’un « serpent de mer », « irréalisable à échéance prévisible » (note 1).
La nouvelle résolution de l’Assemblée générale du 26 avril 2022 constitue-t-elle un premier pas vers la concrétisation des ambitions de réforme du Conseil de sécurité ?
Les contours de la résolution 76/262
Parrainée par 83 États, cette résolution historique a été perçue comme promouvant l’inclusivité, la transparence, la crédibilité, la démocratisation et la responsabilité de l’Organisation des Nations Unies (note 2). D’autres délégations ont quant à elles été bien moins enthousiastes et ont dénoncé sa dangerosité (Bélarus) ou encore l’ont caractérisée de « sparadrap enrobant une tumeur » (Gabon). L’importance à première vue de cette résolution au regard du grand nombre de commentaires positifs à son égard, appelle à la présentation de certains éléments entourant ce nouveau texte international.
Tout d’abord, d’un point de vue formel, cette résolution a été adoptée par consensus, processus parfois traduit comme l’ « essence même de la diplomatie » (note 3). Seulement envisagé à l’Annexe IV du Règlement intérieur de l’Assemblée générale, et non dans la Charte, le consensus est considéré comme « souhaitable lorsqu’[il] contribue à un règlement efficace et durable des différends et, partant, à un renforcement de l’autorité de l’organisation ». Permettant d’éviter le vote, une majorité des 2/3 en l’occurrence ici (art. 18(2) de la Charte), le consensus permet, tout comme l’unanimité, mais sans ses risques inhérents, de traduire « la volonté des États d’élaborer un accord général, susceptible de refléter les vues de la Communauté internationale dans son ensemble ».
Ensuite, d’un point de vue matériel, cette résolution permet l’organisation d’un débat à l’Assemblée générale dans les 10 jours suivants l’utilisation du droit de veto au Conseil de sécurité. Il faut néanmoins noter le caractère non automatique d’un tel débat. En effet, celui-ci n’est déclenché que sur saisine de la présidence de l’Assemblée et dans un délai précis. Ces limites textuelles, qui pourront ne devenir que de simples formalités au stade de la mise en pratique du processus prévu, méritaient néanmoins d’être soulevées.
Malgré le fait que cette résolution n’ait pas encore été mise en œuvre, certains questionnements et commentaires peuvent être mis en lumière à ce stade.
Un enthousiasme à tempérer
Si cette résolution peut être vue comme historique, elle appelle tout de même à une certaine modération quant à l’avancée qu’elle pourrait constituer pour l’avenir des Nations Unies.
En effet, tout d’abord, la première interrogation porte sur les conséquences à prévoir en cas de débat se concluant par une désapprobation de la part de l’Assemblée générale du recours au veto par le Membre Permanent. Est-ce qu’un nouveau vote sera organisé au Conseil de sécurité sans le Membre Permanent « déviant » ? Le droit positif ne semble pas favorable à une telle proposition. Est-ce que cela permettrait seulement de caractériser l’absence de soutien de la Communauté internationale à la décision prise par ledit État d’opposer son veto ? En reprenant la situation ukrainienne, 141 États ont voté favorablement à la résolution A/RES/ES-11-1 condamnant l’agression russe, n’était-ce pas déjà une forme de désapprobation de la Communauté internationale du veto russe opposé une semaine avant, sur le même sujet, au Conseil de sécurité ?
De même, cette innovation se meut dans la pratique institutionnelle telle que prévue par la Charte mais occulte l’évolution connue par le veto en pratique. L’influence de certains États dépasse le cadre du droit pour embrasser un veto caché ou indirect qui s’illustre par le fait que le veto de la Charte s’avèrerait inutile car sept membres du Conseil (non permanents) ont été convaincus de ne pas voter en faveur de la résolution grâce à une sorte de veto économique ou administratif (note 4) dont jouissent certains pays.
Soutenue par de nombreux États, cette résolution replace l’organe plénier des Nations Unies, parfois reléguée en position subalterne, au cœur de l’activité onusienne. Les cartes sont remises au centre de la table et le Conseil de sécurité voit son (in)action susceptible d’une remise en cause devant l’hémicycle onusien. Reste à savoir quelle sera concrètement l’ampleur d’une telle résolution et dans quelle mesure l’inaction du Conseil sera, si ce n’est empêchée, à tout le moins, suivie de mesures contre l’État responsable.
Notes
Note 1. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Pas de paix sans justice ? Le dilemme de la paix et de la justice en sortie de conflit armé, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 169.
Note 2. Voir notamment les déclarations de : Australie, Timor-Leste, Singapour, Koweït, Ukraine, Pologne, Kenya.
Note 3. André Lewin, « Article 18 », dans J.-P. Cot et A. Pellet (dir.), La Charte des Nations Unies : commentaire article par article, 2ème, Paris, Economica, 1991, pp. 385‑393.
Note 4. Paul Tavernier, « Article 27 », dans J.-P. Cot et A. Pellet, La Charte des Nations Unies : commentaire article par article, 2ème, Paris, Economica, 1991, pp. 495‑514.