Un avenir incertain pour le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile?

European Parliament, « Ursula von der Leyen presents her vision to MEPs », en ligne: Flickr https://www.flickr.com/photos/european_parliament/48298975382/

Dans la lancée d’un récent projet de réforme du droit d’asile proposé en septembre 2020, le nouveau « Pacte sur la migration et l’asile » (NPMA), l’Union européenne (UE) poursuit sa volonté d’uniformisation et de coopération entre les États. Lors de son discours au Parlement européen (PE) le 1er février dernier, la Présidente de la Commission européenne (CE), Ursula von der Leyen, a rappelé l’importance de « développer des solutions durables dans le domaine des migrations et de l’asile ».  Le NPMA est en cours de négociation et la Présidente de la CE souhaite voir les travaux législatifs se finaliser d’ici au printemps 2024.

Le NPMA est un ensemble de textes qui prévoit de réformer le cadre migratoire et d’asile au sein de l’UE, notamment en prévoyant un « plan de préparation et de gestion de crise en matière de migration ». On le qualifie de « nouveau », car il doit suivre la Convention de Dublin, alors compris comme le « premier Pacte ». En effet, ce Pacte doit remplacer ce dernier règlement Dublin qui coordonne actuellement les demandes d’asile et de migration. Il sera contraignant pour tous les pays de l’UE, le souhait de plusieurs États qui voient leurs pairs appliquer le règlement de Dublin au gré de leur humeur : « En 2015, dans l’urgence de la crise, une répartition par quota avait été négociée par les États membres de l’Union, mais peu appliquée en pratique, faute de bonnes volontés.» Il doit corriger les faiblesses du règlement Dublin en vigueur, comme, par exemple, la gestion des demandes concentrées aux pays de l’UE ayant des frontières sur la mer Méditerranée (notamment en Grèce et en Italie) et améliorer la réponse des États européens au cas où une autre crise se présente. En effet, l’idée au fondement de ce nouveau Pacte a émergé de l’urgence vécue par l’UE lors de la crise migratoire de 2015-2016. Ce que l’on reproche à ce présent « système de Dublin », duquel la CE veut se départir, ce sont ses lacunes en termes de confiance et de solidarité que se portent les pays européens dans l’accueil, le traitement et le renvoie des demandeurs d’asile. Sous la pression intense de la crise de 2015-2016, l’UE a vu s’entremêler des enjeux politiques, des questions humanitaires et des réalités de collaboration, mettant en lumière les plus grandes faiblesses de ce règlement Dublin. Avec le NPMA, l’UE souhaite être plus résistante, efficace et équilibrée dans son traitement, son action et ses ressources en termes de migration et d’asile.

Ainsi, en me basant sur le discours fait lors de la séance plénière du PE du 1er février dernier, je souhaite ici aborder l’essor de ce Pacte face à la réalité du portrait politique européen. Il s’agit de proposer un aperçu des instruments en vigueur au sein de l’UE, puis, de revenir sur les objets et réformes du NPMA et, enfin, d’exposer les tensions et les désaccords sous-jacents dans les négociations pour ce prochain Pacte.

Un aperçu des instruments juridiques régionaux et internationaux en vigueur au sein de l’UE

Le droit d’asile, avant d’être un enjeu propre à l’UE, est un droit humain. Il repose en droit international sur l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, sur la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et sur la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Au sein de l’UE, ce droit est consacré à l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, alors que son complément, la protection contre les expulsions collectives, ce que l’on appelle aussi le droit au non-refoulement, est inscrite à l’article 19. L’UE fonctionne actuellement sur un régime d’asile commun, communément appelé RAEC, déterminant les normes minimales applicables au traitement des demandeurs d’asile. Le RAEC est complété par la Convention de Dublin de 1990 (déterminant le pays responsable en cas de demande), le Règlement de Dublin II (faisant état de l’apport d’Eurodac) et le règlement de Dublin III (établissant une méthode pour déterminer le pays responsable de l’examen d’une demande d’asile). C’est dans ce cadre que le NPMA doit venir remplacer la Convention de Dublin et réformer les instruments alors en vigueur.

Les objets et réformes du nouveau Pacte

Le NPMA doit proposer des réformes au précédent cadre de Dublin, celles-ci touchant trois principaux secteurs : la sécurité, la solidarité et l’harmonisation.

L’aspect sécurité touche à la protection des frontières. Lors du discours de la Présidente von der Leyen au Parlement européen le 1er février dernier, cette dernière soulignait que « […] les pressions s’intensifient à nos frontières extérieures. Il est de notre devoir de faire en sorte que l’Europe reste un espace de protection pour ceux qui en ont besoin. » La Commission européenne propose donc un processus de filtrage rapide (5 jours) qui doit permettre d’établir si le demandeur d’asile sera débouté ou si la personne pourra rédiger une demande. Cette nouvelle procédure est complétée par l’instrument Eurodac. Dans le cas du retour de demandeurs à l’État tiers (« tiers » signifie ici le pays en dehors de l’UE  qui constitue le pays d’origine des migrants), les pays collaboratifs verront la délivrance de visa facilitée et vice versa. Pourtant, selon Vignon et De Brouwer,

« [le] défi opérationnel d’un tel dispositif réside dans la contradiction entre l’objectif d’efficacité (la durée de la procédure doit être brève, de quelques semaines au maximum) et celui de garantie des droits fondamentaux auxquels l’UE par sa Charte des droits fondamentaux est attachée. »

En ce qui a trait à la solidarité, la Présidente réitère le 1er février l’importance de la coopération effective au sein de la communauté européenne : « Il faut que la solidarité européenne soit plus forte que cela, et elle le peut. Et c’est ce que devra montrer le mécanisme de solidarité permanent proposé dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l’asile. » Le NPMA prévoit notamment de partager l’accueil des demandeurs sur le territoire, de « parrainer » les retours vers les États tiers et de fournir de l’assistance aux États « sous pression » par des contributions financières et par la construction d’infrastructures. Vignon et De Brouwer rappellent qu’il ne s’agit pas d’obliger les États à recevoir des migrants, en dehors d’un cadre de crise excessive,  il s’agit de rendre obligatoire leur aide par d’autres moyens, ce qui témoigne notamment de la complexité attribuée à la « solidarité obligatoire et flexible » que promeut le NPMA.

Dans une ultime tentative d’harmonisation, les propositions du NPMA promettent la refonte de l’application des politiques migratoires et d’asile pour coordonner certaines directives alors non appliquées par l’intégralité des membres de l’UE dans ce qu’appelle la Présidente de la Commission « une réponse européenne ». Parmi celles-ci se retrouvent les directives de « qualification » (2011/95/EU), de « procédure d’asile » (2013/32/EU) et d’« accueil » (2013/33/EU). Sous la direction de Henri Labayle, certains auteurs rapportent notamment que « […] la Commission nommera en outre un coordinateur chargé des retours dans le cadre d’un réseau de haut niveau pour les retours afin qu’il apporte le soutien technique dans l’harmonisation de cette politique au niveau des États membres » afin de renforcer l’efficacité de la dernière directive applicable, celle du « retour » (2008/115/CE). 

Turbulences en session plénière

Alors que les négociations se poursuivent sur des éléments nouvellement ajoutés au Pacte, ce projet est miné par des tensions et des désaccords et, à l’opposé, la CE recherche activement un consensus. Les membres de l’UE sont divisés sur la question du partage des responsabilités et la vitesse à laquelle s’exécute le projet du NPMA, et certains États préfèrent agir de manière unilatérale sur cette question. En effet, la question se pose à savoir comment exprimer clairement ce partage à travers des mesures et des responsabilités clairement établies. La défiance est palpable et tous se remémorent l’hostilité des pays du groupe de Visegrad ( aussi appelé les « V4 », il s’agit d’un regroupement d’États d’Europe centrale comprenant la Tchéquie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie ) lors de la crise migratoire de 2015-2016, notamment exprimée par leur opposition au CE lors de l’adoption d’une mesure visant à corriger l’arrivée et la distribution inégale des réfugiés/migrants. Après avoir voté contre celle-ci, le V4, la Hongrie et la Slovaquie précisément, s’est référé à la Cour de justice de l’UE pour faire tomber la mesure, action qui s’est révélée être une perte de temps. Mais les attentes sont énormes – et certainement très techniques – et les prévisions floues du NPMA sur le partage du poids migratoire ont pu être instrumentalisées par le V4, notamment comme une « top-down breach » à la souveraineté des États. De ce fait, plusieurs en viennent à penser comme Wihtol de Wenden que : « L’Europe n’est pas en mesure d’imposer le « partage du fardeau » entre les États européens, car les plus récalcitrants n’ont pas été sanctionnés en 2015. »

Malgré tout, dans son discours du 1er février, la Présidente affirme que les membres de l’UE se sont accordés et poursuivent des avancées ponctuelles, comme par exemple Carte bleue et l’Agence de l’UE pour l’asile. De plus, une feuille de route sur la poursuite des travaux législatifs a été proposée pour la session du Conseil « Justice et affaires intérieures » en mars prochain.  Cependant, la question se pose de savoir si ce Pacte pourra être à la hauteur des espoirs qu’on lui portait, alors que le groupe V4 ou que – dans une tendance mondiale – les démocraties font virage à droite. Il n’est pas banal d’observer qu’une certaine stagnation dans les négociations remet en doute la visée qu’aura le NPMA à l’issue des débats.

Une chronologie du NPMA est présentée ici.

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