Le 17 mars 2023, le procureur de la Cour pénale internationale a émis deux mandats d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine, président en exercice de la Fédération de Russie et sa commissaire aux droits de l’enfant, Maria Alekseyevna Lvova-Belova. Cette décision fait suite au déclenchement de la guerre par la Russie contre l’Ukraine depuis le 24 février 2022. En émettant ce mandat d’arrêt, la Cour s’est fondée sur les articles 8(2) (a) (vii) et 8(2) (b) (viii). Pour le premier, « (…) On entend par crime de guerre, la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégal (…) ». Pour le second qui concerne la violation grave des lois et coutumes applicables dans les conflits internationaux, le crime de guerre consiste à un « transfert direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de la population civile, dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire (…) ». Si cette décision de la Cour pénale internationale est audacieuse, il faut dire qu’elle a surpris plus d’un car c’est la première fois que la Cour va aussi loin dans la poursuite des responsables de crimes dans les conflits internationaux. . En effet, bien que la Russie soit un membre permanent du Conseil de sécurité, il faut souligner que ce mandat d’arrêt est un signal fort de la Cour face aux dirigeants qui comme Poutine violent le droit international. L’une des raisons qui semble avoir amené la Cour à prendre cette décision réside dans la priorisation de la lutte contre l’impunité concernant les crimes contre les enfants. Quoique courageuse, la volonté d’arrêter Poutine (personnage qui nous intéresse ici) pose un problème d’effectivité. En effet, le mandat émis contre Omar Al Bashir et celui délivré contre les militaires américains envoyés en Afghanistan n’ont toujours pas produit les effets escomptés. En ce qui concerne le deuxième mandat d’arrêt, la situation a conduit à une tension entre l’Etat américain et la CPI. Tous ces précédents viennent rendre difficile la mise en œuvre d’un mandat d’arrêt à l’encontre du président russe. Quoi qu’il en soit, la déclaration de l’Ukraine en vertu de l’article 12 (3) du Statut de Rome établit la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire. Cet article discute de la base juridique pouvant permettre de juger Poutine devant la Cour pénale internationale eu égard à son immunité en qualité de président et par conséquent de sa responsabilité pénale découlant des faits qui lui sont reprochés.
L’immunité personnelle du président russe mise à l’épreuve
Le droit international distingue les immunités des Etats et celles des individus. Si les premières reposent sur les principes classiques d’indépendance, de souveraineté et d’égalité entre Etats (voir article 5 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et leurs biens), les secondes concernent les chefs d’Etats et membres de gouvernements étrangers. Etant donné que la CPI ne juge que les individus (voir article 1 du statut de Rome), les immunités des chefs d’Etats et membres de gouvernement sont pertinentes pour notre étude. En effet, les chefs d’Etats et membres de gouvernement bénéficient en réalité de deux régimes d’immunités qui se juxtaposent. Nous savons qu’une immunité fonctionnelle concerne les actes commis dans l’exercice de la fonction du chef de l’Etat ou des membres de gouvernement étrangers. Il s’agit d’une immunité rationae materiae assimilable à l’immunité de l’Etat au nom duquel ces actes ont été accomplis. Ensuite, il y a l’immunité personnelle attachée à la personne dans l’exercice de ses fonctions. Cette dernière est celle qui concerne le cas du président russe. De prime abord il est important de préciser que la Russie n’est pas partie au statut de Rome. Pendant longtemps l’identité des cibles de mandats d’arrêt de la CPI a toujours fait l’objet soit d’objection ou d’opposition. C’est le cas par exemple des ressortissants américains qui avaient été poursuivis par la Cour avec pour conséquence directe les tensions dans les relations entre celle-ci et la première puissance mondiale qui refusait de coopérer à travers son ministère de la défense. S’il est vrai que l’immunité rationae personae de Poutine a une valeur juridique en droit interne russe, cependant elle est dépouillée de sa consistance lorsque le chef de l’Etat se retrouve devant la CPI en vertu de l’article 27-2 du Statut de Rome. Cet article dispose que « Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ». La Cour internationale de justice en son temps avait également affirmé que les immunités des chefs d’Etat, chef de gouvernement ou ministre des affaires étrangères devraient être écartées devant certaines juridictions pénales internationales. C’est ce qui ressort de son arrêt relatif au mandat d’arrêt émis contre le ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo par la Belgique (RDC c. Belgique) au paragraphe 47. Du point de vue de la CPI, la décision de la Chambre d’appel semble avoir réglé la question dans l’affaire Al Bashir lorsqu’elle considérait dans son paragraphe 1 que l’immunité d’un chef de l’Etat n’a aucune valeur coutumière vis-à-vis d’une cour internationale. Cela revient à dire que le mandat d’arrêt émis à l’encontre du président russe met les Etats parties au statut de Rome dans une situation délicate en vertu d’obligations contradictoires. Cependant, la Cour a jugé que l’absence d’immunité vis-à-vis de la CPI s’applique aussi de façon horizontale lorsqu’un Etat coopère pour arrêter un chef d’Etat à sa demande (voir paragraphe 114). Or, dans la même affaire, certains Etats notamment la Jordanie ou l’Afrique du sud pourtant parties au Statut de Rome refusaient de contraindre le chef de l’Etat tiers au Statut et de l’arrêter s’il venait à se trouver sur leur territoire en dépit de toute demande de la CPI. Celle-ci, après avoir beaucoup hésité, a adopté une position surprenante et courageuse : la Chambre d’appel a estimé que l’on ne saurait transposer à l’ordre des juridictions internationales une règle visant initialement les juridictions internes (ici). Quoiqu’il en soit, obligation est faite aux Etats parties au Statut de Rome en vertu du chapitre IX de coopérer avec la Cour même si des tensions potentielles existent.
La responsabilité pénale de Poutine pour omission ?
Le mandat d’arrêt précise que la Cour a « des motifs raisonnables de croire que ces deux personnalités sont responsables de crimes de guerre, de déportation illégale et de transfert illégal d’enfants de l’Ukraine vers la Russie ». En ce qui concerne le président russe, sa responsabilité pénale est engagée en vertu de l’article 28 (b) du statut de Rome qui dispose qu’ « en ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnées non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu’il ou elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés dans le cas où : i) Le supérieur hiérarchique savait que tous ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d’informations qui l’indiquaient clairement ; ii) Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs ; et, iii) Le supérieur hiérarchique n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites ». Au regard de ce qui précède, l’on peut affirmer que la Cour s’est fondée sur le motif d’omissions volontaires injustifiées présumées pour établir la responsabilité du président russe en tant que supérieur hiérarchique de Maria Alekseyevna Lvova-Belova. La disposition suscitée énonce d’autres normes alternatives dans l’élément de faute qui vont au-delà des actes condamnables intentionnels notamment le contrôle effectif des subordonnés par le supérieur hiérarchique. Plus précisément, un supérieur hiérarchique peut être tenu pour responsable lorsqu’il a « sciemment refusé de considérer les informations qui indiquaient clairement » que ses subordonnés commettaient ou étaient sur le point de commettre des crimes relevant de la compétence de Cour. Il est vrai que l’acquittement de Jean pierre Bemba Gombo par la Chambre d’appel en 2018 a suscité de vives critiques sur la question de l’implication de ce dernier dans la commission des crimes de guerre et contre l’humanité en sa qualité de chef militaire. A partir de cette décision, il est donc clair que la responsabilité du supérieur hiérarchique fondée sur la réduction des normes de faute (intentionnelle et matérielle) et les omissions constitue une avenue prometteuse pour poursuivre les hauts dirigeants. De ce qui précède et selon la doctrine de la responsabilité du supérieur, le président russe pourrait voir sa responsabilité pénale engagée car l’omission est une forme de participation à la commission du crime.
Conclusion et perspectives
En conclusion, il est remarquable de préciser que la délivrance d’un mandat d’arrêt contre le président russe dans le cadre d’un conflit armé en cours entrainera des conséquences à plusieurs niveaux voire des tensions potentielles notamment en ce qui concerne les objectifs de règlement pacifique du conflit russo-ukrainien et la poursuite la responsabilité pénale. Quoiqu’il en soit, la prudence est nécessaire car le président russe qui est à la tête d’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait bénéficier d’une résolution de ce dernier en vertu de l’article 16 du statut de Rome pour suspendre les poursuites contre lui. En outre, la captivité du président russe dépendra du bon vouloir des 123 Etats parties au statut de Rome si ce dernier se trouvait sur leurs territoires, lorsqu’on sait que Poutine se rendra au Sommet des BRICS au mois d’août prochain en Afrique du Sud. C’est dire que les implications juridiques, politiques diplomatiques et pratiques du mandat d’arrêt contre le président russe seront observables les mois à venir. Il est urgent pour la CPI aujourd’hui de renforcer ses liens de coopération avec les Etats membres au statut de Rome afin de dissiper toute crise de confiance.