Coup d’Etat au Niger : Evaluer la légalité d’un probable recours à la force par la CEDEAO au regard du jus ad bellum 

Introduction

Le 26 juillet 2023, des militaires sous la direction du général Abdourahamane Tiani ont entrepris un coup d’Etat au Niger contre le président élu Mohamed Bazoum. Immédiatement après le coup de force de la junte, ce dernier a été mis en résidence surveillée ainsi que sa famille dans des conditions difficiles. L’autoproclamé président Tiani va suspendre la constitution et il est né un Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP). Les raisons du coup d’Etat au Niger sont floues. Certains évoquent l’insécurité grandissante et l’absence de croissance économique du pays. D’autres avancent le mécontentement du général Tiani qui avait été écarté par le président Bazoum quelques mois plutôt. D’autres encore prétendent que la Fédération de Russie est à l’origine des troubles au sein de la population dans le cadre de sa confrontation plus large avec la France.

Dans la foulée, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a lancé un premier ultimatum resté sans réponse. Le Mali et le Burkina Faso également dirigés par des militaires ayant pris le pouvoir par la force respectivement depuis 2020 et 2022 ont de leur côté affiché leur solidarité avec le Niger. Face à ce bras de fer l’organisation sous régionale ouest africaine a ensuite imposé des sanctions contre la junte militaire et a menacé de recourir à la force si elle ne réintégrait pas le président Bazoum au pouvoir. Le 10 août, alors que l’ultimatum était arrivé à expiration, la CEDEAO dans un communiqué a annoncé la mise en œuvre de sa « force en attente ». D’ailleurs le président du Nigéria Bola Tinubu affirmait « Aucune option n’est exclue y compris le recours à la force en dernier ressort. Si nous ne le faisons pas personne d’autre ne le fera à notre place ». Il faut dire que la CEDEAO était déjà intervenue par le passé en Gambie pour rétablir l’ordre constitutionnel dans ce pays. L’initiative du recours à la force de la CEDEAO pose des problèmes de légalité en droit international. Il convient d’examiner cette question dans les lignes qui suivent.     

La perspective d’intervention de la CEDEAO contraire au principe de l’interdiction du recours à la force

Dans le cadre de cette partie, il s’agit de démontrer que la menace de la CEDEAO du recours à la force ne contient aucune base juridique en droit international. Le principe de l’interdiction du recours à la force consacré à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies, est la « clé de voute » du système institué en 1945. Ce principe comporte deux exceptions soit le recours à force contenu à l’article 51 de la Charte relatif au droit de légitime défense individuelle ou collective et l’emploi de la force sur la base de l’autorisation du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ce principe a été reconnu dans l’affaire des activités armées an territoire du Congo (Paragraphe 148). Il est vrai que le cas en étude se situe en dehors de ces limitations normatives ci-dessus car il n’y a jamais eu d’agression de la part du Niger et la CEDEAO n’est pas un Etat. Néanmoins, ce principe coutumier lie les organisations régionales et sous régionales non seulement en tant que personnes morales internationales mais en tant que démembrement au niveau inférieur du système de sécurité collective. In concreto, la CEDEAO, en tant qu’organisation internationale dotée de la personnalité juridique est subordonnée au respect du sacro-saint principe consacré à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies.

L’initiative de la CEDEAO qui constitue une menace d’agression contre le Niger est contraire à l’interdiction du recours à force. Cela a été reconnu par la Cour internationale de justice dans son Avis consultatif sur la licéité ou la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires du 8 juillet 1996 (Paragraphe 47). La Cour déclare que « Les notions de « menace » ou d’ « emploi » de la force au sens de l’article 2 paragraphe 4 de la Charte vont de pair, en ce sens que si, dans un cas donné, l’emploi de la force même est illicite (…) pour quelque raison que ce soit (…) la menace d’y recourir le sera également ». Etant donné que l’autorisation d’emploi de la force du Conseil de sécurité s’étend aux organisations régionales en vertu de l’article 53 (1) de la Charte des Nations Unies, la CEDEAO est astreinte à cette obligation procédurale. Il est vrai qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, le Conseil de sécurité n’a pas encore été saisi de la question du Niger et évidemment n’a autorisé aucun recours à la force. Sur le plan sous régional, l’Acte constitutif révisé de la CEDEAO de 1991, le Protocole d’assistance mutuelle de 1981 et le Protocole de non-agression de 1978 prévoient également que les Etats membres promettent de ne pas recourir à l’usage de la force contre d’autres Etats membres. Cependant, la CEDEAO peut recourir à la force dans certaines conditions. 

Le recours à la force de la CEDEAO fondé sur le consentement         

En droit international, les offensives consensuelles ne violent pas le principe de l’interdiction du recours à la force encapsulé dans l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations. En tant que fondement légal ab initio, le consentement dans le cas en étude peut être appréhendé sous l’angle du traité ou encore à la demande d’une autorité de l’Etat hôte.

Le Niger est partie au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de décembre 1999. Cet instrument juridique est pertinent dans le cadre de cette étude car il institue un système de sécurité collective. Ainsi, l’article 25 relatif dispose que « Le mécanisme est mis en œuvre dans l’une des conditions ci-après : a) en cas d’agression ou de conflit armé intervenu dans un Etat membre, ou de menace d’un tel conflit ; b) En cas de conflit entre deux ou plusieurs Etats membres ; c) En cas de conflit interne qui (i) menace de déclencher un désastre humanitaire ; (ii) constitue une menace grave à la paix et à la sécurité de la sous-région ; d) En cas de violation graves et massives des droits de l’homme ou de remise en cause de l’Etat de droit ; e) en cas de renversement ou de tentative de renversement d’un Gouvernement démocratiquement élu ; f) toute autre situation qui détermine le Conseil de médiation et de sécurité ». Le point (e) de cet article renvoie à la situation au Niger. C’est dire que le Niger en ratifiant le Protocole avait consenti implicitement à une intervention sur son territoire. Par conséquent l’intervention de la CEDEAO serait légale sur la base de la ratification par le Niger du Protocole de 1999.

 Le 10 août 2023, la CEDEAO a ordonné le déploiement de sa force en « attente » composé de civils et de militaires regroupés au sein du Groupe de contrôle de cessez-le feu (ECOMOG) (article 21 du Protocole de 1999). Cela signifie que la force en « attente » est constituée d’individus des différents pays membres de la CEDEAO. En outre, le déploiement de la force est décidé au sein du Conseil de médiation de sécurité (article 10) qui ne peut prendre ses décisions qu’à la majorité ses deux tiers (article 9). Or, des voix dissidentes se sont fait entendre au sein de la CEDEAO, ce qui pourrait entraver toute action de celle-ci. Il faudra convaincre certains membres d’adhérer au projet d’intervention militaire au Niger. Il faut noter que la dernière intervention de la force en « attente » de la CEDEAO remonte à 2017. Elle était alors intervenue e Gambie pour rétablir l’ordre constitutionnel. Même si le Conseil de médiation prenait ses décisions à la majorité des deux tiers, il faudrait encore que l’opération projetée soit permise par l’UA et le Conseil de sécurité.

Sur cette question le Protocole de 1999 précise que la CEDEAO coopère avec l’Union Africaine plus précisément avec son mécanisme de prévention, gestion et de règlement des conflits (article 52 alinéa 2) dirigé par le Conseil de paix et de sécurité. On peut estimer aujourd’hui que cette coopération a été consommée si l’on se réfère au récent Communiqué sur la situation au Niger du 14 août 2023 du Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS). Dans le point 4 du document,  le CPS « prend note de la décision de la CEDEAO de déployer une force en attente et demande à la Commission de l’UA d’entreprendre une évaluation des implications économiques, sociales, sécuritaires du déploiement d’une force en attente au Niger et d’en faire un rapport au Conseil ». Même si le CPS, n’autorise pas explicitement la CEDEAO à intervenir au Niger, il le fait au moins implicitement au regard de son appel au rejet du changement anticonstitutionnel et exhorte la communauté internationale de s’abstenir à conférer légitimité au régime illégal du Niger (Point 8). Si l’autorisation de l’UA est accordée à la CEDEAO comme cela semble être le cas en vertu du principe de primauté et de subsidiarité de celle-ci et ses institutions, il faudra dès lors régler la question de la permission du Conseil de sécurité garante du système de sécurité collective dans le monde. En ce qui concerne le Conseil de sécurité, son autorisation semble plus complexe à obtenir en raison du véto de l’un de ses membres notamment la Russie qui a officiellement pris position pour un non recours à la force au Niger.   

En droit international, le consentement des gouvernements hôtes à une intervention est reconnu comme licite car celui-ci découle de l’expression de la volonté souveraine des Etats. Cela a été reconnu par la CIJ dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (paragraphe 246). Le consentement donné par une autorité ayant le pouvoir de le faire, a été utilisé dans le cadre de l’invocation du droit de légitime défense contre les groupes terroristes basés sur le territoire de certains Etats. Ce fut le cas du recours à la force par la France contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Encore appelée consentement ad oc, l’intervention sur invitation des autorités nigériennes doit répondre à certaines conditions. En effet, l’autorité qui donne son consentement doit l’être en vertu des lois du pays hôte, le consentement doit être explicite et libre. En outre, l’auteur du consentement doit pouvoir contrôler le territoire dont il a la charge comme cela été reconnu dans l’affaire des activités armés devant la CIJ (Paragraphe 42-54 et 92-105). Dans le cas du Niger, le président Bazoum n’a jusqu’à présent toujours pas démissionné du poste de président de la République. On pourrait penser qu’il continue d’être Chef de l’Etat. Même si cela est vrai, le président Bazoum n’a aucun contrôle effectif d’une partie ou de la totalité du territoire et dans ce cas, il ne peut exprimer la volonté de l’Etat nigérien en vertu du droit international.

Il est vrai qu’au fil de la pratique des Etats, l’accent est davantage mis sur le contrôle efficace faisant référence à la légitimité démocratique des gouvernements. Malgré tout, l’interview donnée par le président déchu au Washington post ne saurait être considéré comme autorisant un consentement à une intervention. En effet, nous savons qu’il est emprisonné depuis quelques semaines et des doutes pourraient surgir quant à l’authenticité des propos tenus dans le journal américain. En outre, si nous prenons en compte cette interview, il est remarquable de constater que le président Bazoum parle en des termes vagues et implicites lorsqu’il dit « J’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à nous aider à rétablir notre ordre constitutionnel ». Par ailleurs, un autre membre du gouvernement en dehors du chef de l’Etat peut donner son consentement au nom de l’Etat pour un recours à la force à savoir le chef du gouvernement ou le ministre des affaires étrangères. En tout état de cause, le consentement devrait être donné par les autorités dépositaires du pouvoir exécutif. Dans le cadre de l’offensive américaine à Grenade en 1983, l’invitation du gouverneur général de cette petite île n’était pas suffisante car titulaire d’un poste dénué de pouvoir exécutif. Pour ce qui est du Niger, le ministre des affaires étrangères étant en exil ne peut pratiquement donner son consentement au nom de son pays. Ceci est justifié par le fait que le lieu d’émanation du consentement doit être pris en compte et celui-ci doit être donné dans l’exercice effectif du pouvoir par l’autorité.   

L’offensive armée pro démocratique : Une justification appropriée ?

A la question de savoir si la CEDEAO pouvait intervenir légalement au Niger même sans l’autorisation du Conseil de sécurité, il est clair qu’une telle action serait douteuse en droit international. Le statut juridique de l’intervention pour rétablir la démocratie émane d’une interprétation extensive de l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies. L’intervention des Etats Unis au Panama et à Grenade a été fortement critiquée. En 1998, l’intervention de la CEDEAO en Sierra Leone après la rupture de l’accord de paix entre le Commandant Koroma alors au pouvoir et la CEDEAO intervint sans l’autorisation du Conseil de sécurité. Dans ses différentes déclarations, l’organisation sous-régionale promettait le retour du président démocratiquement élu par les moyens pacifiques ou par la force.

Quoiqu’il en soit le fondement juridique de cette intervention demeure peu convaincant. En 1994, le coup d’Etat en Haïti a entrainé des condamnations et l’adoption de la résolution 940 qui a autorisé l’emploi de la force pour rétablir le gouvernement démocratiquement élu de Jean Baptiste Aristide. Cette intervention unilatérale forcée sous les auspices du Conseil de sécurité a reçu l’adhésion de tous les membres car fondé non pas sur la démocratie mais sur le constat de la menace à la paix et à sécurité internationales. Plus récemment en 2016, la CEDEAO est intervenue en Gambie pour rétablir le président démocratiquement élu Barrow. Si cette offensive peut être considérée comme une intervention pro démocratique par excellence, il n’en demeure pas moins que la justification apportée par le Sénégal qui est intervenu brièvement en Gambie sous les auspices de la force régionale, pose des problèmes de droit. En effet, les autorités de Dakar affirmaient être intervenues par erreur en Gambie. En tout état de cause, le recours à la force pro démocratique n’a pas encore atteint le seuil d’une norme coutumière en droit international. Cependant, elle peut être tolérée en tenant compte de la nature multinationale de la force intervenante, des objectifs et des buts de l’offensive. 

Conclusion    

En définitive, il faut dire que le recours à la force de la CEDEAO contre le Niger constituerait probablement une violation du principe consacré à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations ou encore de certains instruments régionaux de sécurité collective. Cependant, la CEDEAO pourrait intervenir légalement sur la base du consentement issu d’un traité ou alors celui donné par une autorité exerçant le pourvoir exécutif au Niger. La question de l’intervention pro démocratique n’a pas encore été acceptée en droit international. Quoiqu’il en soit, il est nécessaire de privilégier la voie pacifique pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. L’autorisation implicite du CPS dans son communiqué pourrait donner une valeur juridique à l’intervention de la CEDEAO. Cependant, l’autorisation du Conseil de sécurité est nécessaire. Une offensive armée aujourd’hui aurait des conséquences désastreuses sur le plan des droits humains et aussi pour la région du Sahel même si l’homme fort de Niamey le Général Tiani se montre inflexible face aux concessions pouvant aboutir à un règlement pacifique de la crise.  

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