COP28: la genèse d’un échec planifié?

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Les discussions regardant les questions de la lutte contre les changements climatiques, en particulier les négociations internationales les concernant, sont continuellement ramenées au centre de l’attention à l’approche des différentes Conférences des Parties (COP).  C’est à la fin du mois que les Émirats arabes unis (ÉAU) accueilleront cet important rassemblement d’États pour échanger sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris (2015). En effet, la 28e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP28) se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre, un lieu qui suscite la controverse pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la situation actuelle des droits humains dans le pays fait l’objet de critiques. De plus, la présidence de la COP a été confiée au PDG d’une compagnie pétrolière, ce que plusieurs acteurs de la scène internationale soulèvent comme étant des enjeux d’ordre moral et éthique. Puis, le peu d’intérêt historique du pays en matière de lutte contre les changements climatiques suscite des inquiétudes et accentue les craintes quant à une éventuelle avancée au cours de la COP28, d’autant plus que les progrès réalisés lors des travaux préparatoires en juin ont été insuffisants.

Droits humains

Les enjeux de droits humains existants aux ÉAU sont parmi les plus soulevés en regard de la COP28. Un évènement qui suscite l’attroupement de plusieurs organisations civiles, d’ONG, de groupes divers sont présent afin de faire pression lors des négociations. Force est de constater que la liberté d’expression et la liberté de presse ne sont pas tout à fait au niveau des standards attendus par le droit international, particulièrement par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À noter que les ÉAU n’ont pas ratifié ni signé cette convention internationale, constituant l’un des documents fondamentaux en termes de la protection des droits humains.

Plusieurs acteurs ont fait part de leurs inquiétudes face à ces enjeux de liberté d’expression et de liberté de presse pour les évènements de la COP28. Amnesty International rapporte plusieurs problématiques en regard des droits humains aux ÉAU, nommément la liberté d’expression, d’association et de réunion; la détention arbitraire; des cas de torture et de mauvais traitements; les droits des femmes. Marta Schaaf, directrice du programme Justice climatique, économique et sociale et Responsabilité des entreprises d’Amnesty International soulève qu’ « [i]l est tout aussi difficile d’imaginer une COP inclusive lorsque les lois draconiennes et définies en termes vagues du pays permettent l’arrestation de presque toute personne exprimant des opinions dissidentes, la répression et le maintien en détention de personnes dissidentes et d’opposant·e·s politiques et la criminalisation des relations entre personnes du même sexe. »

Malgré tout, les ÉAU publient des documents relatifs à l’inclusivité, du rôle important des minorités ainsi que des médias, dans le cadre de la COP28. Cependant, il est difficile de ne pas interpréter ces efforts comme étant autre chose qu’une campagne afin d’améliorer leur image à l’international, puisque selon des organismes de défense des droits humains tels qu’Amnesty International, les ÉAU ne s’alignent pas avec leur propre discours, comme en témoignent les nombreux cas de violation de droits humains présents sur le territoire. La réalité du terrain en termes de droits humains est, donc, en vif contraste avec les propos d’ouverture d’esprit émis par la gouvernance de la COP28. Ainsi, la tenue de la conférence internationale, un évènement fortement médiatisé en faveur de l’environnement, peut subséquemment être interprétée comme du greenwashing étatique pour les ÉAU.

L’année précédente, la COP27 qui eut lieu à Charm el-Cheikh (Égypte) a connu le même genre de critique. Le gouvernement égyptien avait mis en place des systèmes de surveillance électronique, des caméras de surveillance illégales, procédé à des dizaines d’arrestations ainsi que restreint le droit de manifestation pacifique à l’aube de la COP27. Bien que la société civile ne soit pas physiquement présente dans les rondes de négociations, il est essentiel qu’elle exprime ses revendications librement, car certaines délégations peuvent les prendre en compte et les soutenir. Il est donc légitime de s’interroger sur la possibilité de parvenir à un accord significatif à la COP28, en présence de mesures potentiellement similaires à Dubaï, étant donné que de telles actions ont indéniablement entravé cet objectif l’année dernière.  

Enjeux pétroliers et présidence

Dans un deuxième temps, l’un des aspects qui semble le plus problématique, voire paradoxal, avec la tenue de la COP28 à Dubaï, est la nomination comme président du Sultan Al-Jaber, PDG d’Abu Dhabi National Oil Company, la principale compagnie d’énergies fossiles des ÉAU. La gêne réside dans le conflit d’intérêt évident entre les activités pétrolières du président et les objectifs de réduction des émissions de GES. La controverse est telle qu’un collectif d’ONG pro-climat, d’entreprises et d’associations a annoncé un boycottage de la COP28.

Certains pourraient y voir l’implication d’un acteur majeur du secteur pétrolier comme avancée positive puisque cela témoignerait de la volonté de cette branche de s’engager dans des mesures plus strictes. Cependant, d’autres estiment que cela risque de perturber les négociations et ainsi compromettre la réalisation d’objectifs plus ambitieux, comme cela s’est produit en Égypte, où les groupes de pression de l’industrie pétrolière ont réussi à faire échouer la conclusion d’un accord significatif. Le président de la COP28 aurait évoqué son intention de réduire les émissions de CO2, mais il n’envisagerait pas de modifier la production de pétrole. Les ÉAU sont un pays producteur de pétrole, parmi les plus importants en termes d’émission de CO2/habitants. D’ailleurs, les ambitions d’ADNOC, selon Global Witness, ont prévu d’augmenter leurs émissions en lien avec l’exploitation d’énergies fossiles d’au moins 40% d’ici 2030.

Alors que la COP27 a échoué à inclure le pétrole dans l’objectif négocié a la COP26 (Glasgow), qui ne concerne pour le moment que des objectifs en regard de l’élimination de charbon, les conditions de la COP28 ne semblent pas plus encourageantes que l’année dernière. En effet, puisque le lobby du pétrole sera tout autant important, ainsi que les graves persécutions contre la liberté d’expression présentes aux ÉAU, il semble difficile de se réjouir d’avance de l’adoption d’un plan ambitieux .

La conférence de Bonn sur les changements climatiques

Le calendrier des évènements liés aux différentes COP, prévoit annuellement une rencontre internationale à Bonn (Allemagne) afin d’orchestrer et de garantir que la COP s’opèrera correctement. Ainsi, du 5 au 15 juin 2023, les délégations se sont réunies à Bonn afin de « préparer les décisions à adopter lors de la COP28 […] ». De ce fait, la conférence devait servir de facilitateur et d’accélérateur de négociation en prévision de la rencontre à Dubaï. Nonobstant, plusieurs obstacles ont entravé le bon déroulement de cette conférence à Bonn. Dans un premier temps, la seule adoption de l’ordre du jour s’est échelonnée sur 9 des 10 jours de négociations, monopolisant alors plus de 90% du temps octroyé. Plusieurs sujets ont donc été reportés à la COP28, ce qui aura inévitablement un impact sur le temps accordé à la réelle négociation d’objectifs.

Dans un deuxième temps, le Bilan mondial, prévu à l’Accord de Paris, sert d’outil afin d’évaluer les progrès faits en vue de la réalisation de celui-ci. Pour la première fois, à la COP28, le Bilan mondial devra être produit. Cependant, la conférence de Bonn, qui servait de tribune pour amorcer les discussions politiques quant aux recommandations à adopter, a été un échec relatif.  L’enjeu en cause réside principalement dans le financement de l’action climatique. Dans un communiqué de presse, Climate Change (ONU) a indiqué : « la fourniture d’un soutien financier adéquat et prévisible aux pays en développement pour l’action climatique, y compris la mise en place d’un nouvel objectif collectif quantifié sur le financement du climat en 2024». Par ailleurs, il s’est observé un rapport de force entre les pays développés et les pays en voie de développement (PED) en matière de financement, mais aussi en matière de responsabilité. Les PED se verraient imposer des mesures qui leur sont empiriquement inaccessibles sans une aide technique et une aide financière appropriées.

Lueurs d’espoir

Si les attentes pour la rencontre de fin novembre suscitent de nombreuses réactions, peu d’entre elles sont optimistes compte tenu des enjeux de violations des standards de droits humains internationaux, de la nomination du Sultan Al-Jalber comme président des négociations, ainsi que des préparations expéditives et incomplètes de la conférence de Bonn. Ainsi, peu d’espoir subsiste à l’approche de la COP28 dans la perspective de la conclusion d’un accord significatif. Cependant, certains États plus ambitieux adoptent, de leur propre initiative, des normes plus strictes ou des objectifs plus élevés de ce qui est négocié aux COP.

D’ailleurs, la COP28 demeure un évènement mobilisant la communauté internationale sur les questions climatiques. De ce fait, cette tribune permet d’une part, d’attirer l’attention sur ces phénomènes et, d’autre part, d’exercer une pression sur les dirigeants politiques par leurs populations de plus en plus engagées. Puis, malgré la présidence controversée de l’évènement, les délégations devront travailler de concert dans le but de proposer une évolution dans ces questions.  

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